• Mali: Péripéties d'une médiation dans le conflit touareg

    Mali: Péripéties d'une médiation dans le conflit touareg
    Tripoli, Libye - L'initiative du guide Mouammar Kadhafi de dépêcher une délégation de la Ligue populaire et sociale des tribus du Grand Sahara en vue d'une médiation de réconciliation entre les autorités du Mali et du Niger avec les rebellions touaregs au Nord de ces deux pays est la première au niveau international.

    Elle consiste à recourir à des instruments de médiation fondés sur les rapports sociaux, culturels et civilisationnels pour régler des conflits que des précédents accords politiques ont jusqu'à présent échoué à réaliser.

    Sans présager des chances de réussite de ce procédé mais conscient de la responsabilité qui leur incombe, la mission composée de chefs de tribus et notables de 15 pays issus de pays arabes et africains tous d'un âge mûrs a quitté le 15 mai dernier Tripoli accompagnée de certains correspondants de médias internationaux basés dans la capitale libyenne.

    Les chefs touaregs ont été très vite édifiés à Bamako lors de l'audience accordée par le président malien Amadou Toumani Touré, au cours de laquelle il a réitéré sa volonté de réaliser la paix avec les rebelles touaregs à condition de garantir l'unité du peuple malien et l'intégrité de son territoire.

    Fort des bonnes dispositions manifestées par le président Toumani Touré, le groupe de médiateurs de la Ligue envisage, désormais, les choses sous un angle optimiste avec l'assurance du soutien total des autorités maliennes.

    Sur la route de Gao (1400 km nord de Bamako), le convoi de véhicule 4x4 transportant la délégation des tribus du Grand Sahara et les journalistes découvre le paysage fait d'interminables champs de manguiers qui à côté de la production cotonnière constitue l'une des richesses de ce pays.

    A mesure que le convoi s'éloigne des terres argileuses du sud Mali, le sol devient sablonneux, annonçant le désert dans cette partie nord du Mali. La savane avec sa verdure luxuriante, ses baobabs et calacédras a cédé la place à une steppe d'arbustes épineux.

    Après 24 heures de route, Gao, ville mythique, capitale des Askias (chef religieux) au 16ème siècle se dévoile comme la septième région du Mali mais aussi comme le point de départ du conflit qui frappe le Septentrion de ce pays.

    Le gouverneur de Gao, le colonel Amadou Baba Touré qui accueille la délégation de la Ligue des tribus du Grand Sahara venu rencontrer les notables, cadres et personnes ressources de la région en vue de s'informer sur les aspects du conflit et les voies de son règlement, a relevé la peur des populations.

    Celles-ci n'osent plus sortir de crainte d'être attaqué par les rebelles qu'il a qualifiés de "quelques jeunes égarés qui se livrent au banditisme".

    L'aveu du premier responsable de la région se révélera être un doux euphémisme.

    Quand la délégation des tribus du Grand Sahara a décidé de quitter Gao pour la région de Kidal (environ 600 km nord de Gao) relié par piste, c'est à l'aide d'une escorte d'une trentaine de voitures de l'armée malienne avec tanks et batteries anti-ariennes.

    Il a fallu 14 heures de temps pour arriver à destination à cause des désagréments subis par cette escorte .

    En plus des ennuis de santé d'un soldat contraint à l'évacuation, un tank va tomber en panne et une voiture de l'armée s'est renversée en tentant d'éviter un chameau lors du passage dans un village faisant deux blessés légers parmi les soldats maliens.

    Une démonstration de force qui trahit les difficultés rencontrées par l'armée sur le terrain notamment sa démoralisation et une préparation inappropriée avec des équipements lourds qui semblent inadéquat face à une guérilla qui se déplace facilement.

    Face à la multitude des déboires, le bataillon de l'armée malienne a finalement rebrousser chemin et la délégation arriva tant bien que mal à Kidal, 8ème région du Mali majoritairement peuplée de touaregs et administrée par un gouverneur touareg.

    Kidal, malgré un dénuement certain présentait l'aspect d'une cité moderne avec l'éclairage public, un stade, un marché , l'eau potable, une maison de jeunes, un dispensaire bien que vétuste, un cybercafé et de petits édifices d'embellissement construits aux croisements des carrefours.

    Seul manquait crûment des routes bitumées pour faciliter la circulation des voitures, donner une aspect plus esthétique à la ville et réduire la poussière qui se soulève dans le sillage.

    A Kidal, la délégation a entrepris ses contacts avec les autorités régionales et les notables touaregs dont le plus ancien chefs traditionnel Intallah.

    Un contact avec la rébellion a été établi grâce aussi aux efforts de Tripoli qui avait fait signer le 2 avril dernier dans la capitale libyenne au gouvernement malien et aux rebelles touareg, un protocole d'entente.

    Les résultats des contacts avec les rebelles ont été fructueux et ceux-ci ont promis, selon des responsables dans la délégation, la libération d'une quinzaines de détenus militaires maliens.

    Le président Amadou Toumani Touré informé a donné son feu vert et le rendez-vous fixé au lendemain dans un endroit à déterminer au moment opportun.

    La délégation, au rythme de ces succès, espérant après cet épisode décrocher un accord de paix définitif entre les protagonistes.

    Un optimisme qui a très tôt cédé au désenchantement et à la stupéfaction à l'annonce, à l'aube du rendez-vous, d'une attaque rebelle contre la localité d'Abeibara (130 km nord de Kidal) faisant 35 morts des deux côtés et des dizaines de prisonniers.

    Branle le bras au sein de la délégation de médiation qui voyait fondre ses efforts pour la paix.

    Kidal située à une centaine de kilomètres du théâtre des combats, devient aussitôt comme une ville morte, les populations terrées chez elles et les véhicules garés. Seuls quelques militaires ont pris position sur les toits de certains bâtiments administratifs.

    Au sein de la délégation, les débats sont houleux entre partisans et adversaires de la fin de la mission en vue d'un retour à Bamako.

    C'est de Tripoli que l'option de poursuivre la mission dans la ville de Kidal fut retenue.

    Pour des raisons de sécurité, un cortège réduit à 8 chefs de tribus et notables de la délégation des tribus du Grand Sahara, quitte Kidal sans escorte militaire vers le lieu de rendez-vous fixé au fur et à mesure de l'avancée du convoi.

    Après plusieurs arrêts pour recevoir les instructions des rebelles sur le téléphone satellitaire, le cortège arrive au crépuscule dans une plaine cernée de montagnes à 100 km environ au Nord de Kidal.

    Dans cet endroit en plein cœur de l'immensité du désert commençe l'attente à même le sol qui dura toute la nuit et une bonne partie de la journée du vendredi 23 mai entrecoupée par le passage de tant à autre de touaregs, sans doute des éclaireurs de la rébellion venus se rassurer de la situation et par le va et vient incessant de caravanes des populations nomades allant s'approvisionner en eau dans un puits non loin.

    C'est dans cette ambiance que surgissent de derrière les collines avoisinants, deux véhicules 4 x 4 avec des hommes enturbannés.

    Ces "hommes bleus", nom donné aux Touaregs, que la délégation s'empresse de rencontree. Parmi eux, le chef rebelle Ibrahim Ag Bahanga entouré de quelques dirigeants de l'Alliance touarègue démocratique pour le changement.

    Deux voitures pick-up transportant chacune entre six et huit combattants rebelles arrivèrent et se placèrent autour du camps sécurisant la présence de leurs chefs.

    La quarantaine, de taille moyenne, le teint clair et silhouette fine et chétive, Ibrahim Ag Bahanga était intimidé par toute l'attention qui lui est porté.

    Cliquetis et flashs des appareils photos, caméras braquées sur lui trahissent sa timidité accentuée par un regard doux et fuyant. Sa petite voix relevait une grande malice chez ce dirigeant de la rébellion touarègue.

    La sollicitude de certains membres de la délégation a fini par le mettre en confiance et les discussions restreintes et à huit clos s'annoncent sous de bons auspices.

    De temps en temps, M. Ag Bahanga répond au téléphone satellitaire, donnant des instructions à ses hommes ou consultant d'autres dirigeants de l'Alliance restés sur le terrain.

    La délégation se décide enfin à quitter pour Kidal avant la tombée de la nuit pour éviter le couvre-feu des soldats de l'armée malienne en faction à l'entrée de la ville.

    Ag Bahanga a accepté la médiation de la Ligue des tribus du Grand Sahara, ainsi qu'un cessez-le-feu à proclamer par le gouvernement malien et un échange de prisonniers entre les deux parties.

    De retour à Bamako, la délégation rencontre dimanche 25 mai le président malien, Amadou Toumani Touré, amer après l'attaque rebelle sur Abeibara, qu'il considère comme une trahison, les assaillants ayant profité de la baisse de la garde de l'armée visant à favoriser la rencontre avec la mission de paix, pour attaquer.

    ATT a évoqué la mauvaise foi des rebelles et indiqué que l'armée malienne n'a jamais pris l'initiative d'attaquer et qu'elle observait, de facto, un cessez-le-feu.

    Il a souligné sa disponibilité de faire la paix à tout moment sur la base de l'accord d'Alger et du protocole de Tripoli.

    Si cette initiative n'a pas apporté de résultas palpables sur le terrain, elle a du moins eu le mérite de remettre au devant de la scène ce conflit aux aspects multiples qui affectent le Nord du Mali.

    De façon plus concrète, la tentative de médiation a permis de baliser la voie d'un règlement pacifique de la question de la rébellion dans ce pays vu que les protagonistes sont arrivés à admettre le principe du règlement par des moyens pacifiques sur la base des accords sus- mentionnés.



    Par Youssouf Bâ - 07/06/2008

    Pana

    « Le Monde Diplomatique, juin 2008 : "Bataille pour l'uranium au Niger"Le Mali se dote d'un système d'information énergétique »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,