• Les origines préhistoriques et paléoberbères des Touaregs à travers l’art 6/6

    Les origines préhistoriques et paléoberbères des Touaregs à travers l’art 6/6
    Certaines scènes de rapprochement sentimental entre couple préfigurent une tradition socioculturelle propre au monde touareg, celle de l'ahal, une soirée de divertissement qui se tenait au campement et rassemblait les adolescents. Ces jeunes gens y faisaient de la poésie, de l'esprit, de la musique et se choisissaient. Comme chez les Protoberbères, la société était mixte et la femme omniprésente. La femme touarègue héritera d'une grande partie de droits de ces prestigieuses ancêtres, droits qu'ils lui sont progressivement ôtés par d'autres législations. Les Paléoberbères élevaient des bœufs, des ânes, des chèvres et des moutons ; ils chassaient une faune relictuelle de girafes, rhinocéros, éléphant, une faune qui montre que le désert n'a pas encore complètement eu raison du Sahara, mais qu'il gagne à grands pas. Sur les parois leurs artistes ont presque exclusivement représenté la classe dominante de leurs sociétés, des sociétés qu'on devine bien hiérarchisées, avec maîtres et sujets, et peut-être déjà des esclaves noirs, bien que les Mélanodermes de la Préhistoire, ces " Ethiopiens " de l'Antiquité et " Harratines " d'hier, soient de moins en moins représentés dans l'art paléoberbère. Comme les Protoberbères, les souverains paléoberbères se faisaient enterrer dans de grandes sépultures associées à des sanctuaires datés du IVe millénaire BP. Les vestiges que les fouilles y ont révélés montrent qu'ils étaient très proches des Touaregs actuels. Ces recherches ont montré que le tumulus à cratère peut être mis en relation avec des traditions augurant de la culture touarègue : au Sahara nigérien, la fouille de l'un d'eux a mis au jour une femme d'une cinquantaine d'années dont les vêtements et leur décor, ainsi que les motifs des bijoux, étaient de culture touarègue. Cette sépulture est datée entre le VIIIe et Xe siècle ; elle remonte donc au début de l'islamisation, mais ni cette femme ni sa tombe n'étaient musulmanes. Dans un autre type de sépulture, la bazina, on a découvert des poteries décorées, la réplique exacte des récipients en bois des Touaregs. Comme leurs ancêtres protoberbères, les Paléoberbères pratiquaient le culte des astres, essentiellement celui du soleil et de la lune, et s'adonnaient à quelques pratiques de divination. Ces croyances sont révélées par l'orientation systématique vers l'Est de leurs monuments funéraires mais aussi par les témoignages historiques. Hérodote nous apprend que tous les Libyens sacrifiaient à la lune et au soleil et à nul autre dieu (à l'exception d'un groupe qui révérait aussi la déesse Athéna).

    Ibn Khaldoun, au XVe siècle, témoigne des mêmes croyances quand il écrit que l'Islam trouva en Afrique du Nord des tribus berbères qui confessaient la religion juive, d'autres qui étaient chrétiennes et d'autres encore païennes, adorant la lune, le soleil et les idoles. Le recours à l'incubation, c'est-à-dire à la divination par les songes sur les tombes des ancêtres morts, se pratiquait il n'y a pas longtemps encore chez les Touaregs. Nous y avons nous-mêmes eu recours avec l'aide d'une amie targuia. Les serments se faisaient aussi sur la tombe des ancêtres. L'existence de bétyles et d'images rupestres représentant de grands personnages, inhabituels dans cet art, tendent à indiquer un culte des ancêtres et de leurs mânes, ancêtres qui seraient devenus des héros mythiques. On a d'ailleurs conservé chez les Touaregs le souvenir de plusieurs saints antérieurs à l'Islam. Les rois des Libyens orientaux portaient des tatouages représentant le symbole de la déesse Nit ou Neith. Le dieu Ash était considéré par les Egyptiens comme " le Seigneur des Libyens ". On sait aussi que les Grecs ont emprunté des Dieux aux Libyens, notamment ceux qu'ils appelleront Poséidon et Athéna. Quant au dieu Ammon, que l'on vénérait dans l'oasis de Siwa (Egypte), et qui rendait des oracles, il était célèbre dans toute la Méditerranée. Pour se donner une ascendance divine, Alexandre le Grand n'hésita pas à traverser le Désert Libyque pour aller le consulter.

    Enfin, on sait que si plusieurs groupes berbères ont adopté le judaïsme puis le christianisme, leur toute première conversion à la religion musulmane fut celle d'un kharidjisme irrédentiste, répondant à la conquête arabe. Sur le plan climatique, le Sahara est entré dans une phase de sécheresse qui dure jusqu'à nos jours. Mais la paléoclimatologie a établi qu'une pulsation humide est intervenue au cours du 1er millénaire avant J.-C. ; elle a certainement contribué à l'énorme progrès civilisationnel que les Paléoberbères sahariens ont alors accompli. Mais, une fois cette rémission achevée, l'aridité reprendra ses droits et aux alentours de l'ère chrétienne, elle fait basculer le Maghreb vers la Méditerranée, le séparant de l'Afrique noire. Alors, seul le dromadaire et la datte ont épargné au Sahara de se transformer en un désert total, un désert d'eau et d'hommes. La vie se réfugiera dans les oasis qui deviennent des pôles de sédentarité, mais aussi de pouvoir. Quand le dromadaire se répand au Sahara, il s'intègre sans bouleversement dans ce monde paléoberbère qui demeure, à quelques nouveautés près, le même dans sa culture et son atmosphère. Même si on ignore son origine exacte, le dromadaire fait très tôt partie du paysage nord-africain. Les témoignages écrits sont très peu nombreux au Ier siècle de notre ère, mais l'animal est de plus en plus mentionné aux IIIe, IVe et Ve siècles, pour devenir omniprésent au VIe. Au IIIe et IVe millénaire de notre ère, de puissantes tribus berbères en font un usage domestique, mais aussi guerrier et militaire. Au VIe siècle, Corripe et Procope relatent de véritables batailles entre ces tribus et les armées byzantine et vandale. Ces tribus chamelières sont en majorité signalées par les auteurs latins dans les régions orientales de l'Afrique romaine puis byzantine, à l'ouest du Nil, depuis la Cyrénaïque jusqu'à la Tripolitaine. Pour certains, l'origine du dromadaire ne peut être qu'orientale et les invasions assyriennes de l'Egypte, aux VIIIe et VIIe siècles avant J.-C., en seraient le premier relais vers l'Est et le Maghreb.

    Le roi Assarhadon traverse le désert de Sinaï grâce aux chameaux prêtés par ses alliées arabes qui servent à transporter eau, vivres et autre matériel. Puis le dromadaire est mentionné en 525 avant J.-C., lorsque Cambyse atteint la Cyrénaïque. En 324 avant J.-C., pour se rendre à Siwa, Alexandre le Grand fait transporter ses outres d'eau par des chameaux. Dans la partie orientale de l'Afrique du Nord, les invasions des uns et des autres ont fait usage du dromadaire, et ce jusqu'en plein pays libyen. Une autre hypothèse fait venir le dromadaire directement de l'Ethiopie, laquelle l'aurait reçu de l'Arabie par le détroit de Bab el-Mandeb.Les Paléoberbères de la fin de l'Antiquité qui adoptent le dromadaire évoluent dans un désert avec un environnement animalier très pauvre. La faune sauvage se réduit aux lions, à la gazelle, mouflon, antilopes, quelques girafes, félins et chacals. On se demande ce que serait devenu le Sahara sans le dromadaire. Non seulement, cet animal permit aux hommes de s'y maintenir, mais il renforça leur rôle économique, permettant par l'intermédiaire de la caravane de transporter toutes sortes de marchandises du Soudan vers la Méditerranée, et par là de mettre les sahariens en contact avec d'autres hommes, d'autres cultures. C'est grâce au dromadaire que les explorateurs iront plus loin vers le Soudan, et sans les compagnies méharistes, les militaires français auraient mis deux fois plus de temps à faire la conquête de ce désert impitoyable.

    L'art rupestre camelin est quasi identique au monde touareg actuel. On y voit des méharistes chevauchant sans selle, armés du javelot et du bouclier rond, du poignard-pendant de bras, de l'épée droite à pommeau et double tranchant, de la cravache de chameau en cuir souple ; ce dernier objet apparaît comme un signe de noblesse et de pouvoir que l'on pourrait mettre en relation avec la qualité de méhariste, sachant que, comme pour le cheval, seuls les nobles et les puissants avaient les moyens d'acquérir ces précieux animaux. Ces méharistes se représentent la plupart du temps dans des scènes de chasse et surtout de bataille où des caravanes sont interceptées et font l'objet d'une véritable razzia. Souvent, face aux parois rupestres, nous nous sommes demandé s'il était possible de détecter à quel moment les chameliers Sanhadja-Huwwâra, l'étape la plus récente du peuplement berbère au Sahara, celle dont les Touaregs sont les plus directement issus, fait son apparition. Comment les populations qui ont précédé l'arrivée des tribus Huwwaâra, venant du nord dans leur fuite des conquêtes musulmanes, ont-elles accueilli ces nouveaux venus ? Certes, elles parlaient la même langue qu'eux et possédaient la même culture, mais c'étaient aussi des étrangers avec lesquels il fallait partager des territoires et des pâturages déjà bien maigres. Protoméditerranéens de la Préhistoire, Libyens et Garamantes de l'Antiquité, Berbères du Moyen Age, enfin, Imazighen actuels : telle est l'extraordinaire permanence de l'histoire du peuple berbère. Parmi eux, les Touaregs sont certainement ceux qui illustrent le mieux cette exceptionnelle longévité puisqu'on peut établir, sans doute aucun, des liens directs avec un peuplement préhistorique remontant au VIIe millénaire dont ils ont conservé de très nombreux traits socioculturels comme nous espérons l'avoir démontré dans nos ouvrages. Peu de peuples sur cette terre peuvent se prévaloir d'une ancienneté aussi importante. L'historiographie continue d'appréhender les sociétés en termes de manque ou de retard et ceci dans tous les domaines : qu'il s'agisse d'économie, de culture, d'administration, ou le l'insertion des hommes dans une histoire non pas passive mais transformatrice.

    Le Proche orient, l'Occident antique et moderne restent les références à partir desquelles sont déterminés les écarts. L'Egypte, la Grèce ou Rome sont désignées comme les seules cultures, les seules lumières du monde, les autres régions ne reflétant que de façon affaiblie les lueurs qu'elles en reçoivent. Hélas, il semble que l'histoire ancienne des Berbères, que la Protohistoire de l'Afrique du Nord aient été écrites sur ce seul critère discriminant. Sans compter le fait qu'elles furent souvent tributaires de modèles souvent induits de l'Europe. Il est nécessaire aujourd'hui de faire une appréciation civilisationnelle objective des Paléoberbères sahariens, parents pauvres de la Méditerranée antique, victimes d'un dialogue nord-sud de l'écriture de l'histoire, de les considérer pour eux-mêmes et non pas systématiquement par rapport à des pouvoirs dominants et des civilisations plus brillantes. Certaines conceptions ainsi qu'une terminologie anciennes, et, surtout orientées, ne peuvent plus avoir cours, car elles sous-tendent une approche subjective de l'histoire des peuples des rives sud de la Méditerranée trop souvent sous-évaluée par rapport à celle des rives nord. La diffusion civilisationnelle et civilisatrice systématiquement orientée du nord vers le sud, cette écriture victime d'un dialogue nord-sud historique et européo-centrique ne peuvent plus être admises. Le changement ne peut que s'inscrire dans une terminologie nouvelle, plus précise et plus juste, dans une réécriture exprimant les connaissances à travers des critères et des conceptions objectifs.

    par Malika Hachid, Préhistorienne
    Source: afriquedu nord.com

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