• Desert song : en immersion chez les touaregs

    Dans le désert algérien, une guitare électrique. C’est Tamikrest. Le groupe chante la colère et la douleur des Touaregs, peuple de nomades obligés de se sédentariser. Long reportage chez les enfants de Tinariwen à Tamanrasset et jusque dans les dunes, pour une nuit de musique à la belle étoile.

    Liens sites partenaires"Je suis fatigué en pensant à demain.”Demain, Ousmane Ag Mossa part pour Alger. Deux mille kilomètres en bus depuis Tamanrasset, dans le Grand Sud saharien du pays, pour aller déposer sa demande de visa Schengen. Nous avons rempli les formulaires ensemble. Ousmane n’était pas très à l’aise avec les documents administratifs. Sur son passeport, à la rubrique “profession”, on peut lire “artiste”. Le passeport est malien mais l’artiste est sans frontières. 

    Ousmane Ag Mossa, chanteur-guitariste compositeur de Tamikrest, part pour l’Europe afin d’assurer la promo du premier album du groupe, Adagh, édité par un label allemand. Ousmane est un Tamasheq, un Touareg comme disent les Arabes, un “homme bleu” comme disent les Français, en référence à la moire indigo du turban qui déteindrait sur la peau des seigneurs du désert. Tant pis pour le cliché : Ousmane ne porte pas le chèche, ne se déplace pas à dos de chameau et n’est pas bleu. On n’est pas dans Avatar. Quoique. 

    Ousmane vit à Tamanrasset. Il n’est jamais venu en Europe, n’est même jamais sorti de la région saharienne : un vrai fils du désert né en 1985 à Tin-Zaouaten, minuscule village situé sur la frontière entre Mali et Algérie. Ses parents ont abandonné le nomadisme et les troupeaux cette même année à cause de la sécheresse. “Les animaux mouraient dans le désert. A Tin-Zaouaten il y avait de l’eau, mes parents sont devenus maraîchers, cultivateurs.” Cinq ans plus tard, le destin et l’histoire rattrapent la famille. “En 1990, le même mois, ma mère, ma petite soeur et mon petit frère ont été emportés par une épidémie. Trois mois plus tard, l’armée malienne a attaqué le village.”

     

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    Les Touaregs, nomades en guerre

    Le conflit entre les Touaregs et le pouvoir central remonte à la décolonisation. Entre 1960 et 1963, les Français quittent le Sahara. Le territoire est découpé selon les nouvelles frontières des pays mitoyens : Mali, Algérie, Libye, Niger, Mauritanie. Sur la carte, des lignes droites. Le gars qui a dessiné les frontières était sans doute un bon géomètre mais un piètre géopoliticien, peu soucieux de la réalité du terrain, du mode de vie nomade des Touaregs. 

    Habituées depuis toujours à la libre circulation, les tribus se retrouvent séparées, marginalisées, soumises à l’autorité d’administrations qui ne les représentent pas et ne les aiment pas non plus. De vieilles histoires de rivalités ethniques qui remontent à l’époque des razzias, quand les Touaregs, guerriers du désert, prenaient des esclaves parmi les populations noires. 

    Au moment de l’indépendance, les élites noires s’installent au pouvoir et désignent les Touaregs comme des Blancs : règlements de comptes historiques. La vie des Touaregs n’a jamais été un long oued tranquille. A la fin du XIXe siècle, les guerriers nomades parviennent à repousser les expéditions coloniales. Résistants puis soumis, bientôt vaincus par la supériorité militaire des colons, les Touaregs s’accommodent de la présence française dans le Sahara. 

    En 1963, peu après l’indépendance malienne, une insurrection touarègue éclate dans la région de l’Adagh, là où a grandi Ousmane Ag Mossa. La répression est sanglante : accusée de soutenir les rebelles, la population civile se fait massacrer. Parmi les victimes, un homme nommé Alhabib Ag Sidi. Son fils de 4 ans, Ibrahim, prend le chemin de l’exode avec sa famille. Bien plus tard, Ibrahim prendra les armes, puis une guitare électrique pour fonder Tinariwen, le groupe qui a lancé le rock touareg. 

    Liens sites partenairesDans les années 1970, les Touaregs sont de plus en plus désorganisés, marginalisés, frappés par de nouvelles sécheresses. Beaucoup se sédentarisent, exilés économiques en Algérie ou en Libye, où le colonel Kadhafi leur offre l’asile en échange d’une formation militaire – marché de dupes, les enrégimentés serviront surtout de chair à canon dans la Légion islamiste, pour défendre des causes qui ne sont pas les leurs. 

    En 1990, au Niger et au Mali, la résistance armée reprend. Le 29 juin, un groupe de rebelles attaque la gendarmerie et la prison de Menaka dans le nord du Mali. Pour l’armée malienne, c’est l’ouverture de la chasse aux Touaregs dans les montagnes de l’Adagh. Les civils et le bétail sont massacrés. Ousmane se souvient : “On a dû quitter le village. Les rebelles se cachaient dans la montagne mais pour l’armée malienne, tous les Touaregs étaient des Peaux-Rouges, des rebelles. On est restés un an à la frontière algérienne, dans les montagnes, on se déplaçait quand l’armée arrivait. C’était la misère, on avait abandonné le travail, les jardins. Ce sont mes premiers souvenirs, des mauvais souvenirs restés gravés dans ma tête.” 

    Adoucis par la découverte, à la même époque,Liens sites partenaires des chansons de Tinariwen : “Je m’en souviens très très bien. Ma grande soeur m’hébergeait. Un matin, un enfant est passé dans la rue en chantonnant un air d’Inteyeden (un des membres fondateurs de Tinariwen – ndlr). Je ne connaissais rien à la musique mais cette chanson est entrée directement dans ma tête. Ensuite, j’ai écouté les vieilles cassettes de Tinariwen. Je n’avais pas d’instruments mais je chantais et je faisais la musique avec ma bouche.” 

    En 1991, le gouvernement malien et les Touaregs signent un pacte. Ousmane rentre à Tin-Zaouaten. Trois ans plus tard, il a la chance de rejoindre Les Enfants de l’Adrar, une nouvelle école privée financée par des ONG françaises. La scolarisation est un vrai problème pour les enfants de nomades. 

    Dans les écoles publiques maliennes, ils sont victimes de discriminations ; dans le désert, il n’y a pas d’école. A Tin-Zaouaten, ce sont des Touaregs qui enseignent en langue tamasheq. La centaine d’enfants apprend l’alphabet tifinagh et la culture touarègue. Il y a un internat, un réfectoire, une infirmerie. Pour le spectacle de fin d’année, les enfants composent des chansons civiques et vantent l’importance de l’instruction. 

    Liens sites partenairesC’est là qu’Ousmane touche une guitare pour la première fois de sa vie. “J’ai eu ma première guitare personnelle en 2003, une guitare sèche offerte par mon grand frère. J’ai appris à jouer en écoutant une cassette d’Ibrahim de Tinariwen, qu’il avait enregistrée en 1998 en Algérie.” Ousmane est alors lycéen à Kidal, la petite ville du nord du Mali, à environ 200 kilomètres au sud de Tin-Zaouaten. Son destin de musicien est en marche, sur la piste des héros Tinariwen.


    Sur les traces de Tinariwen

     

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    L’histoire de Tinariwen est une légende touarègue moderne, une source de fierté et d’espoir pour un peuple, un modèle pour la jeunesse. A la fin des années 1970, de jeunes Touaregs maliens exilés à Tamanrasset, des “ishumars”, des “chômeurs” comme les appellent les Arabes francophones avec l’accent du coin, survivent et soulagent leur peine en inventant des chansons. 


    Ils ne s’accompagnent que d’une seule guitare sèche. Dans la première moitié des années 1980, ils rejoignent les camps d’entraînement militaire de Kadhafi. Ils apprennent le maniement des armes mais aussi des guitares électriques et fomentent une rébellion musicale, composent les protest-songs de la cause tamasheq. Les cassettes qu’ils enregistrent à la demande font le tour du Sahara. 

    Après la signature des accords de Tamanrasset en 1991, le groupe, démilitarisé, se consacre à la musique. En 2001, Tinariwen enregistre son premier album à Kidal dans les locaux de la radio communautaire Tisdas. Depuis, et quatre albums plus tard, les fondateurs de Tinariwen sont devenus les stars internationales du desert-blues

    Ousmane forme Tamikrest à Kidal dans ces années-là, avec un ami d’enfance et des copains de lycée qui partagent les mêmes rêves. Le groupe répète à Radio Tisdas, anime des soirées, fait des petits concerts, sous le parrainage spirituel des aînés Tinariwen. “Ibrahim, il me plaît, on se connaît un peu. Quand j’ai commencé à jouer de la guitare, je ne jouais que ses morceaux, c’est ainsi que je suis rentré dans la musique. Ce que Tinariwen dit, c’est comme si je le disais moi, les mêmes souffrances. Ils ont ouvert la route, ils ont créé le rythme de la musique touarègue, on a suivi le chemin.” Pavé d’embûches. 

    Les accords de 1991 n’ont jamais été appliqués. En mai 2006, la rébellion reprend à Kidal. “Un jour, la ville s’est retrouvée sous le contrôle des rebelles. Le gouvernement malien a annoncé que le village serait bombardé. Les familles ont pris peur, elles ont abandonné leurs maisons, se sont réfugiées encore une fois dans les montagnes. Les enfants ont abandonné l’école. Certains sont partis en Algérie, d’autres en Libye. A ce moment-là, je me suis réfugié à Tamanrasset. Je ne pouvais pas retourner à Kidal pour reprendre mes études. J’étais en second cycle. Je n’ai pas eu la chance d’arriver jusqu’à l’université. La route est difficile. J’avais l’ambition de devenir avocat mais impossible de continuer les études dans ces conditions. On a tous décidé de prendre le chemin de la musique plutôt que celui des études mais pour défendre la même cause.” 

    Liens sites partenairesOusmane s’installe à Tamanrasset avec quatre membres du groupe. Il y revit cette bohème un peu rude qu’avait connue Tinariwen quinze ans plus tôt. “Chaque soir, on allait chez des amis pour faire de la musique, passer le temps. On n’avait pas de travail fixe. Rien à faire à part la musique. La journée on dort, le soir on joue un peu partout : telle est notre vie. Quand on a un concert pour un mariage, on enregistre une cassette en souvenir et on gagne un peu d’argent pour acheter des cigarettes, pas grand-chose. Parfois, on fait des concerts dans le désert, avec des groupes électrogènes qui explosent à chaque fois.”

    Depuis, le noyau dur du groupe est retourné à Kidal mais Ousmane a gardé un pied à Tamanrasset. Pour parcourir les 900 kilomètres de pistes qui séparent les deux villes, il faut compter deux jours de voiture. Ousmane a pris un passeport pour éviter les ennuis à la frontière. “Avant, j’avais l’habitude d’entrer en Algérie sans papiers. Ceux qui ont les habits traditionnels et le turban, on les laisse tranquilles, personne ne leur demande leurs papiers. Moi, j’ai eu des problèmes parce que je suis un rasta. On me fouille, on me demande qui je suis, si j’ai de la drogue dans mes poches, si je suis un délinquant.” 

    Chez Ousmane à Tamanrasset


    Pour sûr, Ousmane ne ressemble pas à un Touareg surgi de la nuit des temps mais plutôt au petit frère d’Ibrahim de Tinariwen : même coupe de cheveux, même silhouette efflanquée. Il ressemble aussi à Bob Marley, qui le fascine. Dans son panthéon de mélomane, on trouve encore Dire Straits (énorme en Afrique) et, plus étonnant, Francis Cabrel. 

    Habillé comme un rocker psychédélique et chaussé de bottes de cow-boy (il rêve d’aller au Mexique ou au Texas pour s’acheter des tiags), Ousmane détonne dans le paysage du Sud algérien. A Tamanrasset, il vit dans le centre, rue des Cinq-Etoiles. On le croit sur parole car il n’y a pas de panneau. Dans la rue déambulent des enfants et des chèvres. Un quartier populaire, une modeste maison en briques nues, pauvre selon le standing français. 

    Le foyer d’Ousmane ressemble à un campement, avec des murs. Un grand séjour chichement meublé (des sofas contre les murs, une télé), des fils électriques qui pendent, des chambres sans fenêtres où vit la famille élargie ; une terrasse, d’où la vue panoramique donne une idée de la topographie de la ville et de l’immensité du désert qui l’entoure. L’air est chaud, saturé de poussière.
    Depuis la terrasse, Baklia Cheikh nous présente Tamanrasset.

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    Baklia Cheikh n’est pas n’importe qui. Loueur de voitures et chauffeur pendant notre reportage, il est surtout celui qui, au début des années 1980, a donné leur première guitare électrique à Tinariwen. Baklia a connu l’époque où l’on croisait encore des chameaux dans les rues de Tamanrasset.

    A la lisière du Maghreb et de l’Afrique noire, Tamanrasset (150 000 habitants environ) est une ville en plein développement. Dans les rues étroites circulent un nombre invraisemblable de 504 Pigeot, qui côtoient des 4x4 asiatiques ; il y a des petites boucheries spécialisées dans la viande de chameau, mais aussi des cyber-cafés et, depuis 2006, une grande université. Partout, des immeubles en construction, des chantiers de travaux publics. Il y a vingt-cinq ans, Tamanrasset était principalement habitée par des gens du désert. Aujourd’hui, la ville accueille beaucoup d’Algériens du Nord, acteurs d’un dynamisme économique que Baklia Cheikh juge un peu désespérant.

    Liens sites partenaires“Le monde a changé. Les nomades ne connaissaient pas l’électricité, les voitures, ils voulaient vivre libres. Ils traversaient les pays avec les caravanes. Dans le Hoggar, il est désormais rare de voir un chamelier. Ils ont vendu leurs chameaux pour acheter des 4x4. L’ancien marché, c’est la catastrophe, il n’y a que des jeans et des T-shirts partout, plus rien de traditionnel. Ici, on leur construit des petites maisons à étage. Comment des Touaregs peuvent-ils vivre là-dedans ? Impossible, ils sont habitués à l’espace, à vivre avec leurs animaux. Surtout les vieux. Ils ne vivent pas sur du carrelage, dans du ciment. Certains vieux sont tombés malades à cause de ce mode de vie. Avant ils marchaient tranquillement, sans bruit, ils ne connaissaient que le sable. Les Touaregs ne gagnent rien à ce mode de vie, ils ont tout sacrifié. Ils pourraient profiter du tourisme mais il n’y a pas de développement touristique à cause des terroristes qui se cachent dans le désert. J’espère que la nouvelle génération va au moins garder les traditions.”

    Pour comprendre les bouleversements que traverse la culture touarègue, il suffit de regarder dehors. Tout autour de la ville, les arbustes portent de drôles de fruits multicolores : des sacs plastique poussés par le vent, qui volent et s’accrochent aux branches. En apparence, le désert est immuable. Mais pourra-t-il résister à la pollution venue du Nord, dont les sacs plastique ne sont que l’emballage ?

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    Chez Ousmane, on est arrivés en bons journalistes français : pressés, efficaces, prêts à dégainer appareil photo et questions dès la toute première seconde. Mais Ousmane nous calme : “On va d’abord prendre le thé.” Dans le séjour, il y a une pendule arrêtée sur 14 h 35, mais on mettra bien deux heures avant de s’en rendre compte. Proverbe africain bien connu : “Vous avez l’heure, nous avons le temps.” L’heure du thé, c’est le temps du thé, sans compter.

    Fatma, la compagne d’Ousmane (et choriste de Tamikrest, mais aussi nièce d’Ibrahim de Tinariwen, décidément omniprésent dans cette histoire), prépare le thé touareg. Un rituel long, minutieux et virtuose. Très sucré, le thé bout sur un brasero portable. Puis on le transvase et on le réchauffe plusieurs fois avant de le verser dans un petit verre, breuvage caramélisé surmonté d’une couche de mousse onctueuse. Quand c’est fini, ça recommence : la coutume veut que le thé se déguste par série de trois verres.

    “Boire le thé et fumer, c’est ce que je préfère faire, avec la musique”, dit Ousmane. Pour vivre, il fait du “petit bizness”, convoie des voitures. “Je préfère ne travailler que lorsque j’ai besoin d’argent. Je ne veux pas devenir riche. Et j’ai besoin d’avoir des problèmes pour composer.” A l’entrée de la pièce, il y a son matériel : une guitare électrique Danelectro et un ampli à piles de la taille d’une boîte à chaussures (pointure 36).

    La Danelectro n’est pas la première guitare d’Ousmane : ChrisLiens sites partenairesEckman, le producteur américain de l’album de Tamikrest, la lui a donnée récemment. L’ampli à piles ne paie pas de mine, mais c’est du vrai matos de nomade, parfait pour jouer dehors. “J’ai l’habitude d’aller dans le désert pour composer, c’est là que je trouve l’inspiration. A une époque, j’avais une voiture que je partageais avec un ami, et tous les soirs j’allais dormir dans le désert. Quand je suis en ville, avec des gens autour et le téléphone qui n’arrête pas de sonner, ça ne marche pas. J’aime le calme, la solitude, la nature devant les yeux. C’est là que je peux rentrer profondément dans mes idées, dans mes pensées. Tout ce qui me fait mal remonte et ça fait des chansons.”

    Une nuit à l'Hôtel 1 000 étoiles

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    Ousmane a décidé de nous organiser une soirée et une nuit à l’hôtel 1 000 étoiles : dans le désert. Ce n’est pas une attraction pour touristes mais l’attachement à un mode de vie, à une culture. Dans un décor de collines rocailleuses, au coucher du soleil, nous nous retrouvons à quelques kilomètres de la ville, loin du monde.

    Il y a six hommes et quatre femmes autour du feu. Les femmes, qui ne portent pas le voile, font la prière. Les Touaregs sont réputés pour avoir l’islam libéral. Mossa Ag Borayba, guitariste rythmique de Tamikrest, a branché son ampli (taille 38) sur la batterie d’un 4x4 Toyota. Un autre larron, Hassan Mohammed, chante et joue de la guitare.

    Liens sites partenairesC’est un grand Malien malin, charismatique, hâbleur. Il ne fait pas partie de Tamikrest mais il se débrouille toujours pour être sur la photo. Il n’est jamais allé à l’école et parle à peine français. A 13 ans, il avait suivi une formation militaire dans un camp libyen. Il a combattu aux côtés du grand Abdallah Oumbadougou, musicien et rebelle, figure de la musique touarègue au Niger. Il chante bien mais pas souvent, parce que la musique ne le menait nulle part. Un ishumar de plus.

    “J’attends la chance”, dit-il. Les femmes chantent et tapent dans leurs mains. Baklia Cheikh fait des percussions sur un bidon en plastique. Les femmes préparent le thé et les hommes font à manger. Au menu, ragoût de légumes et ses deux viandes (mouton et chameau), puis taguella, un vrai miracle culinaire touareg : une galette de semoule cuite en vingt minutes sous la braise, à même le sable chaud, sans récipient, et servie en morceaux avec du jus de viande.

    C’est un délice et un miracle : pas un grain de sable dedans. 

    Liens sites partenairesAvec la nuit, la température dégringole, il y a un vent à décorner les chèvres. On se serre autour du feu, on attend la prochaine tournée de thé, on chante un peu plus fort des chansons politiques et mélancoliques, celles de Tamikrest et beaucoup de classiques de Tinariwen. Dans le grand vide du désert, la musique s’élève comme portée par le vent.

    En fin de soirée, le 4x4 sur lequel Mossa a branché sa guitare ne démarre plus, la batterie est à plat. Avec un chameau, ça ne serait pas arrivé. Le deuxième 4x4 part en chercher un troisième, qui viendra dépanner le premier. Pendant ce temps, la musique et les chants continuent. Le feu s’éteint, personne n’a envie d’aller à la chasse au rare petit bois sec.

    A peine éclairés par le rougeoiement des braises et des cigarettes, les Touaregs ne sont plus que des silhouettes sombres découpées sur le ciel étoilé, chez eux entre deux immensités. Le Sahara, c’est grand : environ quatre fois la superficie de la France. C’est beaucoup de blanc sur la carte mais ce n’est pas rien. Dans le sous-sol, il y a de l’or, du pétrole, de l’uranium. Des multinationales exploitent ces richesses en dévastant les populations et les cultures locales.

    A la surface, depuis toujours, on trouve des paysages somptueux et des peintures rupestres. Depuis peu, des islamistes – issus de l’Aqmi, la branche Maghreb d’Al-Qaida – enlèvent parfois des Européens (dont le Français Pierre Camatte, libéré le 23 février dernier dans la région de Kidal). Il y a des camps militaires, des ingénieurs chinois qui pilotent des grands travaux, d’anciens sites d’essais nucléaires français, des 4x4 surpuissants qui traversent le désert hors piste, chargés de drogue ou d’armes, des migrants clandestins en transit, des vieilles femmes et des enfants miséreux qui courent derrière des troupeaux de chèvres.

    Et il y a environ un million de Touaregs. Ce soir-là, dix d’entre eux se serrent les uns contre les autres autour d’un feu de bois. Des survivants, dans le désert depuis très longtemps, peu disposés à abandonner le combat. Un grain de sable dans la machine. Bientôt la tempête ?

    Photos : David Balicki
    www.lesinrocks.com/musique

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