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RFI Musique : Qu’est-ce qui vous a incité à emprunter une direction plus acoustique pour les chansons de Tassili ?
Eyadou Ag Leche : Cet album nous habite depuis très longtemps. C’est la recherche du bien-être dans le désert ; faire ressortir la pureté de la musique en revenant aux origines du groupe, qui a démarré avec très peu de moyens. A la naissance de Tinariwen, Ibrahim fabriquait lui-même ses propres instruments. Il a commencé à jouer avec une guitare acoustique, naturellement influencé par la musique traditionnelle touarègue. Pour retrouver l’inspiration du début, c’était naturel de retourner dans la vallée de Djanet et d'y enregistrer. Plusieurs chansons du groupe sont nées dans ce lieu où il passait lorsqu’il partait en Lybie et revenait par l’Algérie.
Avec l’expérience, les années et les tournées internationales, la façon de faire la musique chez Tinariwen a-t-elle changé ?
Notre musique reste authentique, comme à sa naissance. En revanche, ce qui a changé depuis qu’on tourne, c’est que l’on peut trouver de très bons instruments qui correspondent à notre musique, à ce que l’on sent, grâce aux nouvelles technologies. L’apport, pour nous, se situe plus sur ce plan-là qu’en termes d’influences extérieures.
Vous arrive-t-il, entre vous, de jouer d’autres types de musiques ?
Nous aimerions bien mais quand on joue, on est Touaregs, et ce n’est qu’à l’intérieur de cette musique-là qu’on peut faire ressortir cet esprit de voyage et de liberté qu’il y a dans notre culture.
Et chanter dans une autre langue, est-ce envisageable ?
Nous ne sommes pas fermés à chanter dans une autre langue mais notre musique, ce qui est au fond de nous, est ancrée dans notre langue, le tamasheq.
Il y a des invités sur le nouvel album, comme le chanteur Tunde Adebimpe, du groupe américain TV On The Radio. Etait-ce évident de le faire entrer dans le décor ?
Ça dépend de l’artiste avec lequel nous collaborons. Dans le cas de Tassili, ça s’est vraiment fait naturellement, comme si on avait une marmite sur le feu et qu’il était venu apporter le sel. On n’a pas eu besoin de réajustement. C’est la rencontre qui compte. Quand elle se passe bien, on peut faire des projets, et la plupart du temps ils vont à leur terme parce que ce sont des gens avec lesquels on a quelque chose en commun. Autre chose que la musique. C’est un échange entre êtres humains.
Est-ce que, au fil des années, Tinariwen n’est pas devenu en quelque sorte une université pour chanteurs et instrumentistes touarègues ?
C’est par excellence l’école touarègue de la musique. Tous les musiciens sont passés par là, ils ont bu le lait de la même chamelle. Les membres du groupe ne sont pas déterminés. C’est un collectif dans lequel les jeunes apportent de la force et du souffle à l’esprit des anciens. Moi, je suis un produit typique de Tinariwen. Ibrahim a joué pour mon baptême alors que je n’avais que sept jours, et j’ai toujours été nourri par cet esprit de groupe. Ce qui me faisait rêver, c’est le travail qu’a accompli en trente ans Tinariwen pour ouvrir cette culture-là au monde. C’est davantage une institution qui forme qu’un simple groupe de musique.
Lorsque vous revenez chez vous au terme d’une tournée loin de votre région, quelle est la première chose que vous faites ?
Courir vers le désert. Trouver un endroit où il n’y a pas beaucoup de gens, pour ressentir l’esprit du désert. Le repos de l’âme. Ça nous manque beaucoup et on y pense souvent lorsqu’on est à l’extérieur. Quand on se retrouve dans des lieux qu’on connaît et qui sont chargés d’histoire pour nous, on se régénère.
Est-ce que le public réagit à votre musique de la même façon sur tous les continents ?
Partout où on a joué dans le monde, les spectateurs sont plus ou moins les mêmes, attirés par la simplicité, les chants de la nature et ça peut agir sur la fibre écologiste de certains en Occident.
Peut-on profiter pleinement du nouvel album de Tinariwen en étant par exemple au milieu des embouteillages ou vaut-il mieux se trouver dans la nature ?
C’est un album qui chante le voyage. Donc, que ce soit dans le métro ou sur un arbre, on peut l’écouter d’une manière différente, mais il aura la même profondeur.
Votre prestation en Afrique du Sud pour l’ouverture du Mondial de football l’an dernier avait-elle un goût particulier ?
Là où le monde se rencontre, c’est une porte ouverte vers les autres mondes. Et nous sommes un peuple d’ouverture, de partage, donc nous avions vraiment envie d’aller là-bas. On était un peu l’équipe touarègue, en attendant qu’il y en ait une, un jour, au Mondial !
RFI Par Bertrand Lavaine