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Actualités politique, économique et culturel de la communauté touareg.

TIC, réseaux sociaux et pouvoir

Commençons aujourd’hui par un petit tour d’horizon d’articles et de réflexions récents sur la vitesse à laquelle ils pénètrent nos sociétés un peu partout dans le monde. Avant de savoir dans quelle mesure il s’agit d’une révolution, force est de constater, chiffres à l’appui, que le mouvement est massif.eConsultancy va droit au but en comparant les chiffres d’aujourd’hui à ceux d’il y a un an . Twitter est passé de 75 à 175 millions d’usagers (plutôt 200 millions, alors que le nombre de tweets envoyés chaque jour augmentait de 250%), LinkedIn de 50 à 100 millions et Facebook de 350 à 640 (plus de 700 en fait). Le plus impressionnant est que Wikipedia, dont on attendait l’essoufflement, est passé de 14 à 17 millions d’articles et de 85.000 à 91.000 contributeurs. Le nombre de personnes accédant à leur compte Facebook depuis un mobile est passé de 65 à 200 millions

RoyalPingdom de son côté montre qu’il y a maintenant 29 sites de réseaux sociaux qui, de part le monde, attirent au moins 1 million d’utilisateurs chaque jour. Derrière Facebook (310M) on trouve Orkut (51M) et le chinois Qzone (37M).

Le recours croissant aux mobiles pour y accéder n’est pas secondaire comme nous le verrons dans les billets suivants. Mashable nous indique que sur les près de 5 milliards d’utilisateurs un quart ont des smartphones et la moitié peuvent recevoir et envoyer des SMS.

Ceux qui s’intéressent au rôle des technologies de l’information sur les mouvements de fond visiteront avec intérêt le site du Computer History Museum de San José en Californie. Il offre une vision large des “200 premières années de l’informatique” intitulée “ Revolution online”.

Il y a aussi des “révolutions” qualitatives. Celle, littérale (changement de cap à 180˚ opérée par Google qui accepte maintenant avec son +1 la “validation sociale” des résultats fournis par son moteur de recherche. Positionnée comme championne de l’intelligence artificielle, des algorithmes et de l’accumulation de données, l’entreprise semble enfin se convaincre que les humains en réseaux peuvent aussi servir à quelque chose. Même si, comme le remarque Mathew Ingram “la recherche [qui en résulte] est utile de façon strictement utilitaire mais pas sociale”.

Ce qui compte en fait c’est qu’après la phase contenu/recherche on passe à une phase utilisateurs/réseaux sociaux. Je ne sais pas s’il s’agit d’une étape importante ou d’une révolution mais je constate que les affrontements idéologiques ne sont pas loin.

Ainsi le Acumen Fund qui se consacre à la promotion des entrepreneurs sociaux voit dans ce mouvement massif le passage d’une ère de la divergence à une ère de la convergence , antienne rabâchée par ceux qui ont peur des conflits. Les récents événement de Tunisie, d’Égypte, de Lybie, du Yémen, de Syrie et de Bahreïn… entre autres, montrent l’importance de la divergence et de son expression pour renverser ou mettre en danger les dictatures établies, même s’il faut que les opposants se retrouvent sur certains points et pour un temps limité. En fait, dans les mouvements sociaux, on ne trouve pas l’une sans l’autre.

Ceux qui veulent sourire (j’en ai une autre encore mieux, pour plus tard) trouveront sur SocialTimes la version AngryBird de la lutte des petits oiseaux bleus contre trois petits cochons aux effigies de Ben Ali, Mubarak et Kadaffi. Pas de très bon goût mais révélateur.

 

2: leurs contributions au printemps arabe

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La métaphore de l’étincelle, la mèche et la poudrière est une bonne façon d’aborder la contribution des TIC et des réseaux sociaux au printemps arabe. C’est celle que propose l’analyste espagnol (et ami personnel) Antoní Gutiérrez-Rubí.L’article qu’il a écrit sur ce sujet a le mérite de commencer par l’essentiel: la situation explosive créée par un mélange de crise économique sans fin, pauvreté extrême, chômage, population jeune fortement urbanisée et dictature qui croît pouvoir ignorer le monde qui change.

Le rôle de la mèche est joué par le nouvel écosystème de la communication: “La combinaison de Google, Twitter, Facebook et Al Jazeera au main de jeunes armés de téléphones de nouvelle génération a rompu les vannes et les boulets sociaux”.

Rappelons qu’au début février 5 millions d’Égyptiens avaient un profil sur Facebook. Ils étaient 6 millions à la fin du mois . 77% ont un téléphone mobile et la pénétration de l’internet est de 21% . Mais on ne peut pas bien juger en termes généraux. L’élément clé selon Micah Sifry de TechPresident est le haut indice de pénétration de la téléphonie mobile dans la jeunesse urbaine (notamment au Caire).

L’étincelle est bien évidemment l’immolation de Mohamed Buazizi dont les images diffusées par Al Jazeera ont été reprises ad infinitum par les réseaux sociaux dans l’ensemble du monde arabe. Une surprise totale pour des dictatures habituées à contrôler les médias traditionnels (broadcast).

A cela il faut ajouter “la création de l’esprit de la révolution” m’a expliqué Antoní. Elle provient de la capacité narrative propre au microblogging qui “transmet les émotions de manière instantanée et multimédia”.

Elle a été le véhicule d’un extraordinaire sentiment d’auto estime, d’empowerment, d’orgueil d’être tunisien, égyptien, arabe. D’autant plus qu’il se propageait dans un espace radicalement démocratique et “trans” qu’il s’agisse des sexes, des générations ou des classes sociales. “Tous les groupes étaient présents sur la place Tahrir” insiste Gutiérrez-Rubí.

A cela il faut ajouter un élément clé des “plateformes pour l’action civique” pour reprendre un terme de Clay Shirky: savoir en temps réel qu’ils ne seront pas seuls s’ils descendent dans la rue peut contribuer à décider les hésitants. L’information recueillie sur place aussi bien qu’à l’extérieur est retweetée, partagée sans fin. Le monde entier peut suivre ce qui se passe. Parfaite illustration de “l’excédent cognitif” (cognitive surplus ), une collaboration à laquelle prennent part activistes, sympathisants, diasporas et plein de gens sans relation particulière avec un événement qui pourtant les fascine.

En résumé: TIC et réseaux sociaux jouent un rôle essentiel dans les mouvements de protestation, très concrètement dans ce que nous appelons aujourd’hui le “printemps arabe”. Ils permettent aux gens de se retrouver, de savoir qu’ils sont nombreux et de le faire savoir au reste du monde. L’effet domino ne leur doit rien (rappelez-vous 1848 en Europe). Mais la contagion se propage plus vite aujourd’hui. Lancée, littéralement, par Bouzizi dans une ville de l’intérieur elle a mis le feu à la Tunisie toute entière, à l’Égypte, la Lybie, le Yémen, le Bahreïn et la Syrie pour ne mentionner que les plus évidents.

Mais les régimes autoritaires qui résistent avec de la poudre révèlent les limites des outils qui les ont mis en échec quand ils s’en prennent à l’essence du politique: la prise du pouvoir. Une dimension qu’il est fondamental de bien comprendre si nous voulons les utiliser plus efficacement.

3: limites et dangers

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A côté des incontestables contributions des réseaux sociaux au printemps arabe, qui ne veut pas tomber dans un idéalisme lénifiant doit également prendre en compte leurs limites et même les risques que tout ceci représente.La première limitation tient à la pénétration. Pour l’internet elle est de 34% en Tunisie, de 21% en Égypte, 5,5% en Lybie, 88% au Bahreïn, 2% au Yemen et 18% en Syrie.

J’ai eu plus de mal pour les chiffres pour la téléphonie mobile (n’hésitez pas à me les signaler si vous en avez de meilleurs). La Tunisie occupait la quatrième place en Afrique avec 88% de pénétration en 2008 . L’Égypte est passée de 51% à 77% entre 2008 et 2011.

Quant aux utilisateurs de Facebook, le New York Times en comptait 5 millions en Égypte au début février 2011 et le site indépendant Al-Masry Al-Youm affirmait quelques semaines plus tard qu’un million de nouveaux membres les avait rejoint pendant le mois le plus court de l’année.

Ces chiffres nationaux ne disent pourtant pas grand chose. Ce qui compte, souligne Micah Sifry, fondateur de Personal Democracy Forum c’est la synergie entre Al Jazeera et la pénétration de la téléphonie mobile très élevée au sein de la jeunesse urbaine en situation économique difficile.

La seconde limitation (soulignée à satiété par Malcolm Gladwell) est qu’il y a une des révolutions sans internet . Les TIC ne sont donc pas indispensables. Il suffit en effet de penser 1848 en Europe ou 1979 en Amérique Centrale.

La troisième limitation tient à la fiabilité toute relative des TIC en temps de crise (naturelle ou politique). Beaucoup de victimes du tsunami qui vient de frapper le Japon se sont retrouvés avec des téléphones chargés incapables de communiquer. Les gouvernements répressifs ont, pour leur part, fermées des sites (Tunisie), bloqué des fournisseurs d’accès à l’internet (4 sur 5 en Égypte au plus haut de la crise) ou obligés les opérateurs à bloquer la communication par mobile (autour de la place Tahrir du Caire).

Quatrième limitation, s’ils se sont révélés efficaces contre les hiérarchies présidentiels, les réseaux sociaux semblent avoir plus de mal face aux tribus (ironiquement la forme d’organisation la plus ancienne) comme on peut le voir en Lybie et au Yémen.

La cinquième limitation est la plus connue grâce aux multiples interventions d’Evgeny Morozov. Les TIC, comme les fusils, peuvent être utilisés par les régimes autoritaires . Ils peuvent, comme en Syrie, y diffuser leur version des faits ou, comme au Soudan, convoquer à des manifs pour arrêter ceux qui s’y présentent.

Ils peuvent aussi externaliser la dénonciation  aux foules (crowdsource) de leurs partisans en leur demandant de repérer et de dénoncer les voix dissidentes. L’accès non contrôlé aux comptes Facebook leur permet d’y trouver toutes les informations voulues sur les contestataires et sur leurs amis. Signalons à ce propos une vidéo hilarante de The Onion pour qui Mark Zuckerberg est le meilleur agent de la CIA depuis des lustres et Facebook, l’outil le plus efficace de l’agence de renseignement américaine.

Plus au fond, il faut bien reconnaître que les réseaux sociaux contribuent fortement au printemps arabe mais qu’ils ne ne semblent pas constituer des outils de prise du pouvoir… le but de toute révolution traditionnelle. Ben Ali était plus faible que nous le croyions et Moubarak a plutôt été chassé par les militaires égyptiens (quelles que soient leurs divisions internes) qui se sont servis des manifestants pour éviter que le fils, non militaire, du dictateur ne lui succède et ne risque de mettre un terme a plus de soixante ans de système économique, politique et social contrôlé par les forces armées. Un point constamment mis en avant par Georges Friedman de Stratfor.com une entreprise spécialisée dans la géopolitique et les questions de sécurité.

Pas très enthousiasmant tout ça. Mais le fait que TIC et réseaux sociaux contribuent aux révolutions sans pour autant permettre la prise du pouvoir n’est pas pour autant la fin de cette histoire passionnante. Leur véritable apport est peut être qu’ils transforment la nature des confrontations politiques et sociales, qu’ils nous invitent à aborder la question fondamentale des changements et du pouvoir d’une façon différente.

4: la question du pouvoir

egyptkasralnilebridge-nowpublic.1305033925.jpg Dans ce quatrième billet sur les réseaux sociaux et politique je développe l’idée selon laquelle ils permettent d’aborder la double question des changements et du pouvoir d’une façon différente. Il fait suite à un billet sur la révolution des réseaux sociaux , à un autre sur leurs contributions aux printemps arabes et à un troisième sur les limites et les dangers des TIC et des médias sociaux dans les crises politiques .

L’internet, la téléphonie mobile et les réseaux sociaux sont de merveilleux outils de communication et communiquer c’est pouvoir, mais toute confrontation politique pose la question de sa prise et communiquer n’y suffit pas. Qu’il s’agisse de bulletins de vote, de balle ou de bombes… il faut autre chose que tweets et SMS que l’on peut envoyer de la rue, de la plage ou de sa chambre.

Le jour des élections il faut mobiliser les électeurs. Quant au jour de la prise du palais présidentiel… c’est encore plus compliqué, bien sûr. La preuve a maintenant été maintes fois faite que les gens peuvent se donner rendez-vous quelque part sans intervention du moindre chef, pas qu’ils peuvent se mettre d’accord pour “faire” quelque chose, pour prendre le gouvernement, pour l’exercer.

Clay Shirky, que j’avais interpelé sur ce sujet lors d’une conférence donnée à Paris en janvier dernier m’avait répondu que “les groupes synchronisés peuvent tirer parti des plateformes pour l’action civique (Twitter, Facebook, SMS et autres). Mais, citant Pierre Rosanvallon il avait reconnu que les gens s’accordent plus facilement sur ce qu’ils rejettent que sur des propositions constructives.

“Pousser un véhicule militaire dans le Nil [comme l’ont fait les manifestants du Caire] est tout ce à quoi ils peuvent aspirer. C’est aller contre”, a-t-il expliqué. Prendre un plais présidentiel et le pouvoir qui va avec, c’est une autre paire de manches qui implique, en général, des propositions plus réfléchies.

Nous avons constaté plein de fois que les réseaux – caractérisés par leur fonctionnement sans chefs et par leur capacité de se regrouper et disperser presque instantanément (swarming) - peuvent être plus efficaces que les organisations hiérarchiques. Il est temps maintenant de reconnaître que l’émergence d’une nouvelle forme d’organisation est susceptible d’avoir un impact sur les confrontations politiques.

A coté des revendications (environnement, respect des minorités, ouverture sur le monde, transparence, etc.) la façon dont les gens s’organisent pour les mettre en avant est essentielle. Les organisations révolutionnaires autoritaires ont donné lieu, au pouvoir, à des régimes autoritaires.

Nous devons aujourd’hui nous demander quel type de régime, de système politique pourrait surgir de luttes menées par des organisations en réseaux sans chefs ni hiérarchies.

D’où l’idée que l’utilisation des TIC, de la téléphonie mobile et des sites de réseaux sociaux pourraient avoir un double impact de poids sur les changements politiques.

Le premier serait une transformation de la politique. Antoní Gutiérrez-Rubí, analyste espagnol que j’ai déjà cité, l’explique quand il dit “la popularité, le potentiel et le magnétisme digital du microblogging offrent un mine de voies pour la communication ainsi que pour la politique. Mais pour une autre politique: celle qui met en relation les gens avec les gens et, sur cette base, construit réseaux, alliances, engagements et actions.”

Ce que nous attendons des printemps arabes de 2011 n’est-il pas l’émergence d’une “autre politique” influencée par les formes d’organisation des manifestants autant que par leurs revendications?

La seconde implication tient à la question de la prise du pouvoir. Les siècles nous ont appris qu’il fallait le prendre (quelles que soient les modalités) pour pouvoir mettre en œuvre des changements.

Mais si les gens peuvent se réunir sans être convoqués, se retrouver en masse sur des thèmes limités, pour un temps limité, alors la question de la prise du pouvoir s’en trouve peut-être bouleversée. Si un nombre suffisant d’individus connectés et de communautés de taille modeste parviennent à se mobiliser quand ils l’entendent pour exiger les transformations dont ils rêvent et dont ils ont besoin, alors il n’est peut-être plus indispensable de gagner les élections pour se faire entendre, d’occuper le palais présidentiel, c’est à dire de prendre le pouvoir et de l’exercer pour obtenir les changements voulus.

Voilà qui pourrait inquiéter les institutions en place, pas seulement celles qui sont au pouvoir et pas seulement au Moyen Orient.

A suivre… (un dernier billet sur le paradoxe de l’adrénaline).

http://pisani.blog.lemonde.fr

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