• VI° REPUBLIQUE: L'AVANT-PROJET DE CONSTITUTION

    par Stéphane BOLLE Maître de conférences HDR en droit public
    http://www.la-constitution-en-afrique.org/

    Après des mois d’affrontement entre partisans et adversaires du Tazartché, après la crise de mai 2009 et la victoire politique d’un "président d'exception" sur une cour constitutionnelle résistante, après une fort brève campagne nationale de popularisation de l’avant-projet de nouvelle Constitution (cf. articles du quotidien officiel "Le Sahel"), les nigériens sont désormais édifiés sur la VI° République voulue par le Président Mamadou Tandja.

     


    Préparé par un comité de juristes, le texte de L'AVANT-PROJET DE CONSTITUTION dessine une constitution de réaction : il marque et le retour au régime présidentiel de la Constitution de l'éphémère IV° République (1996-1999) – dans une version moins libérale ! - et la restauration du « continuisme » - de la possibilité d’une présidence à vie -, qui avait été constitutionnellement banni en 1992.  Une double orientation que le pouvoir justifie dans sa synthèse explicative des principaux points de l'avant-projet de Constitution.

    L’éclairage qui suit consistera en un commentaire - non exhaustif - de ce que serait la Constitution politique de la VI° République, de ses dispositions permanentes à ses dispositions transitoires.

     Les institutions de la VI° République

    Si l’on admet que le régime présidentiel n'implique pas mécaniquement le présidentialisme, le retour, au Niger, de ce régime de séparation tranchée des pouvoirs exécutif et législatif ne devrait pas effrayer. Seulement, l'avant-projet de Constitution retient une variante de régime présidentiel, comportant des mécanismes qui déséquilibrent dangereusement les institutions au profit du seul Président de la VI° République.

     Globalement, le Parlement serait rabaissé. Sa partition en deux chambres (art. 68), avec la création d’un sénat d’inspiration bonapartiste – une option décidément très prisée dans la région -, nommé à hauteur d’un tiers par le Président de la République (art. 72), réduirait substantiellement l’indépendance organique et fonctionnelle du pouvoir législatif. L’élaboration parlementaire de la loi continuerait d’obéir aux mêmes règles constitutionnelles, sous la seule réserve de celles régissant la navette entre l'Assemblée Nationale et le Sénat. Par contre, le contrôle parlementaire sur l’exécutif serait corseté : non seulement, l'Assemblée Nationale perdrait le droit de renverser le gouvernement – une perte découlant logiquement de l’option en faveur du régime présidentiel et « compensée » par la suppression du droit de dissolution -, mais encore le Parlement bicaméral ne pourrait plus exercer certaines attributions qu’à une majorité surqualifiée, très difficile, voire impossible, à réunir (les 2/3 des membres de chacune des chambres pour la saisine de la Cour Constitutionnelle en vue de la constatation de l’empêchement absolu du Président de la République (art. 45) ; les 4/5 des membres de chacune des chambres pour apprécier la durée de l’exercice des pouvoirs exceptionnels et y mettre fin en cas d’abus (art. 58) ou pour mettre en accusation le Président de la République en cas de haute trahison (art. 122)). Le droit d’interpellation serait maintenu (art. 85), mais, à la différence de son homologue du Bénin (cf. l'économie générale de ce moyen de contrôle), le Chef de l’Etat et du Gouvernement ne pourrait pas être visé et l’instrument, d’une portée intrinsèquement limitée (cf. échanges dans l'interpellation sur l'affaire Fagnon), gênerait certainement peu ses collaborateurs, Premier Ministre ou membre du gouvernement.
    Corrélativement, le Président de la République sortirait renforcé de l’adoption de la Constitution de la VI° République. Il sortirait évidemment renforcé de la levée de la limitation du nombre de mandats présidentiels, visant, selon ses promoteurs, à « rétablir la démocratie dans toute sa plénitude qui veut que le peuple choisisse et remercie en toute souveraineté, ses dirigeants ». Mais, dans le contexte africain, l’abolition de la clause – proclamée intangible par la Constitution du Niger du 9 août 1999 ! - de l'alternance présidentielle automatique constitue, pour les opposants, une remise en cause des acquis démocratiques ; elle revient à liquider une règle d’or du néo-constitutionnalisme libéral, conçue et pensée par et dans les conférences nationales de la décennie 1990. La régression serait d’autant plus préoccupante qu’elle s’accompagnerait d’un renforcement conséquent de l’autorité du Président de la République indéfiniment rééligible,  dans un régime présidentiel revu et corrigé. D’une part, le Chef de l’Etat absorberait la fonction de Chef du Gouvernement, aux dépens d’un Premier Ministre maintenu comme simple instrument de la déconcentration de l’exécutif – comme en Côte d'Ivoire (Constit. 2000)  ; et, désormais en charge de la détermination et de la conduite de la politique de la nation, il disposerait d’un gouvernement responsable devant lui seul (art. 48 et 49). D’autre part, le Président de la République bénéficierait de pouvoirs substantiellement élargis qu’il exercerait sans avoir à subir les affres d’un contrôle politique ou juridictionnel tatillon : ainsi, par exemple, il pourrait, à son gré, en toute légalité, soumettre à référendum une révision de la Constitution ou un changement de Constitution (art. 54), ce qui lui est expressément interdit sous la V° République comme l’a rappelé à deux reprises la Cour Constitutionnelle. Qui pourrait s’opposer au Président de la VI° République, maître virtuel de la Constitution du Niger ?

    Certainement pas la Cour Constitutionnelle qui serait reformatée. La composition de la Cour serait, d’abord, réformée (art. 108) : les magistrats, les avocats, les enseignants de la Faculté de droit et les associations de défense des droits de l’homme perdraient le droit de désigner des juges constitutionnels, soit quatre sur sept, selon l'article 104 de la Constitution du Niger du 9 août 1999 ; le Président de la République nommerait trois des neuf membres de la Cour, au lieu d’un sur sept, sous la V° République ; les six autres membres seraient désignés à raison de deux par le Président de l'Assemblée Nationale – qui se substituerait au bureau de l'Assemblée Nationale, autorité de désignation d’un des sept juges sous la V° République -, deux par le Président du Sénat – chambre haute que le Président de la République pourrait diriger indirectement grâce à la minorité de blocage ou au « noyau dur » d’un tiers des sénateurs nommés -, et de deux par le Président de la Cour Suprême – il doit s’agir d’une « coquille » car le texte prévoit une cour de cassation, un conseil d’Etat et une cour des comptes (art. 99). La Cour Constitutionnelle serait détachée de l’appareil judiciaire – elle ferait l’objet d’un titre distinct de la Constitution (titre VIII) – et ses attributions resteraient inchangées. Cependant, son autorité serait diminuée car le refus d’obtempérer à l’un de ses arrêts cesserait de constituer une cause d’empêchement absolu du Président de la République (art. 45). La suppression d’une règle existant depuis 1996 n’a-t-elle pas pour objet de « punir » la Cour Constitutionnelle qui a eu l’audace de s’opposer au Chef de l’Etat et de dispenser le seul Président de la VI° République de l’obligation d’exécuter diligemment les arrêts de la Cour (art. 118) ?

    Pour le reste, l’architecture des institutions s’alourdirait, aux dépens des deniers publics, sans augurer l’apparition de véritables contre-pouvoirs. S’ajouteraient aux organes autonomes et auxiliaires reconnus par la Constitution de 1999 – à savoir, une commission nationale pour la promotion et l’effectivité des droits et des libertés, le Conseil économique, social et culturel et le Conseil supérieur de la communication – le Haut Conseil des Collectivités Territoriales (art. 129) et le Médiateur de la République (titre XI).  nigerdiaspora.info laisse entendre que le projet définitif, approuvé en Conseil des ministres le 10 juillet, aurait encore entériné la création d’un conseil national de la jeunesse et d’un conseil national de la chefferie traditionnelle. Une telle profusion d’institutions – que l’on observe, dans de plus grandes proportions encore, au Rwanda (Constit. 2003)  et au Burundi (Constit. 2005)  - n’est pas en elle-même un gage de démocratisation par la diffusion du pouvoir. Le contexte de création d’une institution, le rôle qui lui est dévolu, sa composition ou encore les moyens qui lui sont alloués sont, en effet, davantage déterminants que sa qualification officielle en tant qu’autorité administrative indépendante.

    Au total, il paraît peu probable que la Constitution de la VI° République du Niger prépare l’avènement d’un nouvel ordre constitutionnel, comparable à celui du Bénin du Renouveau Démocratique

    Vous trouverez la suite de cette note dans une toute prochaine livraison  

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