• Nord Niger: Le conflit s’enlise, à qui profite le crime ?

    Nord Niger: Le conflit s’enlise, à qui profite le crime ?
    Voici bientôt une année et demie qu'un conflit armé a éclaté dans la partie septentrionale de notre pays. Voici dix huit mois que les Nigériens observent dans l'impuissance et la désolation un déchirement douloureux face auquel ils sont totalement désarmés.

    Notre préoccupation essentielle aujourd'hui est de comprendre les dessous de ce conflit qui ruine le pays et surtout les motivations du pouvoir central qui s'efforce de le pérenniser.


    L'analyse qui revient de manière récurrente est celle relative à l'exploitation minière avec ses enjeux géostratégiques et ses problématiques sociales et environnementales. Est-ce suffisant pour s'enliser dans une logique de guerre aux conséquences incalculables pour le pays et son économie ? Pourquoi l'exécutif nigérien fait-il de la pérennisation de l'insécurité une priorité essentielle malgré les cris du cœur lancés ça et là par la société civile, l'assemblée nationale, les pays amis et les nations unies.

    Il importe dès lors de poser froidement la question et d'en décortiquer les tenants et les aboutissants.


    A/ Le Niger

    Notre pays a été classé, selon l'indice de développement humain, le pays le plus pauvre de la planète. Nous sommes le 177ème sur 177 pays classés. Ce rang peu enviable a été révisé en faveur d'une récente mobilisation de nos technocrates. Ceux ci ont contesté les éléments d'appréciation et les données statistiques sur lesquels s'appuyaient nos évaluateurs. Chiffres à l'appui, ils ont démontré que nous ne sommes pas aussi incapables que le prétend le Programme des Nations unies pour le développement.

    Nous revoilà désormais classés depuis fin 2007 le 174ème pays sur les 177 pays que comptabilise notre globe ! C'est là une nouvelle donne vécue comme une véritable performance, une victoire arrachée de haute lutte. L'exploit est salué par le peuple et mis à l'actif de ses dirigeants, ceux qui travaillent pour son bien être, son avenir, sa santé économique et physique. La nouvelle est annoncée avec grand éclat à la nation toute entière et livrée à l'appréciation de l'opinion internationale. L'exécutif en fait largement écho et en revendique le mérite. Les médias d'Etat, fidèles à leur rôle d'informateurs et d'éducateurs du peuple, saisissent cette opportunité pour mettre en évidence l'efficacité de notre gouvernement. Une équipe dirigeante qui a réussi à nous débarrasser de cette étiquette peu honorable de dernier du monde ! Elle est enfin sortie la tête haute d'un affront aussi complexe, une situation à laquelle on ne peut remédier avec notre traditionnel Agaara ( on arrange ). Ceci en effet pour dire combien notre pays est dans une situation lamentable. Un contexte que prétextent nos dirigeants pour justifier leur manœuvre politicienne : entretenir un conflit pour des fins politiques tout en s'assurant l'adhésion du peuple à qui on miroite la menace sur une exploitation minière présentée comme seule lueur d'espoir de sortir des sentiers battus.


    B/ Les ressources minières

    Depuis quelques temps les expressions « Niger pays le plus pauvre du monde » et « Niger un des premiers producteurs d'uranium » sont associées et intimement liées. Cette conjonction est généralement évoquée pour en monter l'aberration. Le Niger est bel et bien riche en uranium. Viens un autre aspect non moins important, celui relatif à la présence de pétrole dans le pays. Selon des documents cartographiques réalisés depuis quelques années, d'importants gisements de pétrole sont localisés au Nord Niger mais qu'il est difficile d'exploiter du fait de son enclavement . Cette belle perspective donne des idées à nos hommes politiques qui rêvent tous de trôner sur un Niger désormais riche et prospère.


    C/ Le Nord Niger

    Considéré jadis comme un Sahara inerte et improductif le Nord Niger fait aujourd'hui l'objet de grandes convoitises à cause justement des ressources minières évoquées plus haut. Les populations y évoluant sont aujourd'hui prises en étau. Elles sont conscientes hélas de la destruction fatale de leur cadre de vie et la spoliation de leur territoire d'occupation déjà bradé aux multinationales avides des ressources. Elles voient arriver la disparition annoncée d'une vie pastorale sur laquelle repose toute sa culture au profit d'une sédentarisation rendue irréversible par la logique de la mondialisation. Elles doivent admettre docilement une politique propensionniste de nos Etats prêts à siphonner les ressources minières au détriment des populations locales et de leur environnement. Elles subissent la mort dans l'âme les agissements et les calculs politiques de nos dirigeants et voient éclater une logique de révolte dont les conséquences sont fatalement désastreuses et difficilement pré évaluables.


    D/ De la politique intérieure

    Les accords de paix de 1995 prévoient la décentralisation poussée comme point essentiel. Cette clause est consacrée par la constitution nigérienne votée par referendum. Cette démarche a été guidée par le souci d'avoir des interlocuteurs représentatifs dotés de la légitimité requise pour défendre les intérêts des différentes régions du pays. Il faut préciser à ce sujet qu'au niveau de l'assemblée nationale nos représentants ne sont pas affiliés aux régions bien qu'ils y soient élus. Ils sont d'ailleurs jaloux de leur appellation de « député national », terme devenu consacré dans la politique nigérienne. Treize ans plus tard, la décentralisation poussée n'est pas mise en œuvre notamment la mise en place des conseils régionaux et départementaux qui aurait certainement permis d'éviter le recours aux armes comme moyen de s'affirmer et d'alerter l'opinion sur les doutes et les angoisses des populations.


    E/ Des faits

    Lors de la première attaque à Iferouane, qui du reste avait pour objectif d'alerter l'opinion nationale sur des problèmes réels auxquels le pouvoir est resté insensible, il était bien possible de mettre fin à la violence. Comme pour saisir la chance de leur vie, nos autorités n'ont jamais lâché prise et ont adroitement manœuvré pour faire renaître dans l'esprit des Nigériens la logique de la guerre. Elles ont adopté comme pédagogie la multiplication des déclarations à travers le pays. Celles ci proclament le soutien inconditionnel au président de la république et aux forces de défense et de sécurité tout en mettant en évidence la menace qui pèse sur la nation. Ces textes stéréotypés sont lus par une brochette de citoyens sous le regard bienveillant de l'autorité locale. Ces acteurs de fortune tentent par cet acte de passer pour des fidèles et irréprochables citoyens aux yeux des autorités locales. Celles-là même qui peuvent juger des intentions malveillantes des individus, qui savent différencier le bon grain de l'ivraie et repérer à première vue tout ceux qui seraient susceptible de nuire à la nation et à la république. Simultanément, les officiers et cadres du nord sont systématiquement aculés, menacés et volontairement poussés à fuir pour grossir les rangs des insurgés. Depuis, le climat social ne fait que se dégrader. Des villages entiers ont été désertés et les habitants sont venus grossir des bidonvilles où la misère est de règle. Déchaîné dans sa logique de martyriser la population, le gouvernement décrète l'état de mise en garde donnant à l'armée et aux forces de sécurité le plein pouvoir pour arrêter, torturer, et tuer au besoin. Celles-ci, subissant en permanence un lavage d'esprit sont également manipulées. Les populations du nord leur sont présentées en pires ennemis dont il faut se méfier à tout prix. Le 24 avril dernier, une lueur d'espoir fut perceptible à travers le discours à la nation du président de la République et une prise de contact secrète avec le MNJ. Il s'est malheureusement très vite avéré que l'option militaire reste prioritaire malgré son échec depuis près de deux ans. Une série d'offensives à grande échelle ont été entreprises pour démanteler les bases rebelles mais sont restées sans résultat. Pour noyer le poisson une certaine presse nationale totalement sous informée annonce avec grand éclat le succès de l'action militaire.


    F/ Quelle lecture ?

    Au regard de la situation socio politique et économique du Niger, on est en droit de se demander au final à qui profite le crime. Les derniers événements sont bien révélateurs et nous permettent aujourd'hui de nous tourner vers une piste politicienne où les citoyens sont littéralement sacrifiés pour satisfaire des calculs politiques en prélude aux présidentielles de 2009. Pour s'en convaincre, il importe de lire entre les lignes en observant les faits.

    1/ Nulle part au monde on n'a vu un gouvernement dire non à la paix de manière officielle et médiatique tout en faisant de l'armée nationale une véritable machine à broyer des citoyens innocents.

    2/ Pendant que le pays sombre dans le noir pour des problèmes énergétiques, que les populations rurales affrontent sans soutien une soudure affligeante, que la question de la vie chère prend des proportions gravissimes, que le problème de l'éducation et du chômage atteint son paroxysme, le pays investit dans l'armement et la logistique militaire les quelques retombées financières issu de la vente des concessions minières. Ceci, au nom d'un effort de guerre qu'il peut bien s'épargner.

    3/ Lors des affrontements des FAN et des combattants du MNJ, le gouvernement se glorifie d'annoncer à la nation le nombre de personnes tuées. L'information est livrée à la nation et au peuple comme un exploit à mettre à l'actif du président de la République, père de la nation.

    4/ Dans cette dynamique, on mobilise l'essentiel de l'armée nationale qui est cantonnée dans l'Aïr, à 1500 km du centre névralgique de la politique nationale. Cette occasion rêvée et adroitement créée est mise à profit pour faire le ménage, cibler les compagnons politiques qui gênent. Le scénario est toujours le même. Qui veut tuer son chien l'accuse de rage.

    Après l'élimination politique de l'ancien premier ministre Hama Amadou et ses proches, les canons sont braqués sur l'actuel chef du gouvernement et le leader de l'ANDP Zaman Lahia. Quant à la prochaine étape, nous savons qu'elle concernera les officiers supérieurs de l'armée, aiguillés au nom d'une liste secrète gracieusement offerte par le président algérien. Et lorsque l'on connaît l'origine des officiers supérieurs ayant servi dans le septentrion de notre pays, on voit bien la logique. En revanche, tout celui qui osera dénoncer ces aberrations sera taxé d'atteinte à l'unité nationale et de régionaliste. Il sera alors accusé d'atteinte à la sûreté de l'état et passible de la peine capitale. Les politiciens épargnés par cette chasse aux sorcières se félicitent de ce nettoyage inespéré. Quant aux éligibles de cette manoeuvre machiavélique ils égrainent les louanges de l'exécutif dans l'espoir de passer pour des fidèles et honnêtes serviteurs du système. Ce zèle serait leur seule voix de salut.

    Pitoyable débandade !

    Les 2009 auront coûté cher aux Nigériens. Le jeu en vaut certes la chandelle pour les acteurs principaux mais l'heure de la vérité sera amère.
    Issouf Ag MAHA

    Maire de Tchirozerine

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