• Niger: Un rapt sur fond de guerre commerciale

    Une semaine après, la disparition au nord du Niger de l’envoyé spécial de l’ONU, Robert Fowler, et de son accompagnateur, Louis Guay, continue de susciter les plus lourdes interrogations sur le mobile de leur enlèvement mais aussi sur les véritables raisons de leur présence dans cette région. Vendredi dernier, et pour la première fois, l’ONU est sortie de son mutisme donnant deux informations importantes.

    D’abord, Robert Fowler était en mission officielle au Niger. « M. Fowler est arrivé dans le cadre d’une mission officielle de l’ONU (...) Il est l’envoyé spécial du secrétaire général de l’Onu pour le Niger et, à ce titre, il est chargé de s’occuper de tous les problèmes humanitaires et de régler le conflit avec la rébellion touareg », a déclaré à l’AFP Modibo Traoré, chef du bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU au Niger. Il a précisé : « Vendredi, au lendemain de son arrivée, le diplomate canadien a rencontré les ministres de l’Intérieur, Albadé Abouba, et de la Justice, Dagra Mamadou. » Surprenante déclaration quand on sait qu’officiellement le Niger n’a jamais demandé à l’ONU une quelconque médiation pour régler son problème avec le Mouvement nigérien pour la justice (MNJ), de la rébellion touareg, dont les activistes sont d’ailleurs considérés comme « des bandits et des trafiquants de drogue ».

    A ce titre, il est opportun de rappeler les propos du porte-parole du gouvernement nigérien et ministre de la Communication, Mohamed Ben Omar, tenus lors de l’annonce de la disparition des deux diplomates onusiens. Pour lui, ces derniers « étaient arrivés le jeudi précédent après avoir sollicité une invitation des autorités pour assister aux festivités du cinquantenaire de la République du Niger à Tillabéri ». Même s’ils étaient en mission officielle, que faisaient-ils au nord du pays, sans escorte ? La réponse est cette fois-ci donnée à demi-mot par Modibo Traoré, en déclarant à l’AFP : « On n’était pas au courant de son (ndlr Fowler) déplacement à la mine d’or de Samira. »

    Les vérités amères

    En fait, Fowler et son assistant étaient sur la route de la mine d’or Samira pour une visite privée. Cette mine, faut-il le préciser, est exploitée par la Société des mines du Liptako (SML), dont le capital est de 600 millions de francs CFA (environ 1,2 million de dollars), est détenue à 40% par Semafo (une compagnie canadienne), 40% par Strucsan (une autre société canadienne) et 20 % par l’Etat du Niger. Ses activités ont démarré en 2004 et elles ont suscité une opposition au sein de la population qui se plaignait de ne pas profiter de cet investissement. Ce qui a contraint le Parlement nigérien à installer une commission chargée d’enquêter sur les activités de la SML. Les conclusions du rapport sont très éloquentes : « Il n’y a pas de corrélation entre la quantité d’or produite et les retombées pour le Niger.

    Les recettes générées à l’Etat par les activités de la SML s’élèvent à environ 5 milliards de FCFA (environ 10 millions de dollars) de 2004 à 2007, pour une production d’or de 8306,29 kg estimée à environ 67 milliards de FCFA (134 millions de dollars). Or, sur la même période, la SML a bénéficié d’exonérations fiscales de l’ordre de 9,7 milliards de FCFA (environ 19,4 millions de dollars) pour des investissements au profit des communautés locales de l’ordre de 50 millions de FCFA (100 000 dollars). » Des vérités amères, auxquelles s’ajoute l’impact négatif de cette exploitation sur l’environnement. « Indéniablement, la mine a engendré et bouleversé le mode de vie des populations locales, avec l’apparition de nouveaux phénomènes, comme la prostitution dans les villages, la dégradation de l’environnement due à la coupe sauvage du bois pour cuire les repas et pour construire des maisons et l’utilisation de certains produits chimiques comme le cyanure, la soude caustique, qui interviennent dans le traitement du minerai », ont indiqué des spécialistes repris par la presse nigérienne.

    Si, pour l’instant, les raisons du déplacement des deux diplomates dans la région du rapt se précisent, il reste néanmoins à élucider le mystère des auteurs de ce kidnapping. Qui a intérêt à enlever les deux diplomates ? On n’en sait rien. Par contre, un élément important mérite d’être souligné et qui pourrait avoir un lien direct avec l’opération. Il s’agit de cette revendication rendue publique deux jours seulement après le kidnapping par le groupe rebelle touareg, le Front des forces de redressement (FFR).

    « La bataille de l’uranium »

    En effet, dans un communiqué diffusé sur le site web du FFR et signé par son président, Rhissa Ag Boula, installé en France, il est affirmé que Robert Fowler « se porte bien » et qu’il « sera bientôt transféré dans un lieu sûr et remis à d’autres collaborateurs qui le prendront en charge. Nous ne céderons aucune parcelle de nos terres sans consultation locale, sans contrepartie et sans préservation de l’environnement. » Le FFR s’en est pris au Canada, lui reprochant surtout de soutenir le régime de Namadou Tanga. Quelques heures plus tard, le commissaire à la guerre de ce même mouvement, Mohamed Awtchiki Kriska, dément toute implication dans ce rapt, le jugeant contraire à sa vision.

    Le FFR, faut-il le rappeler, est né d’une scission entre le MNJ en 2007. Il ne s’est pas manifesté par des actions militaires contre les forces locales au nord du pays, comme son organisation mère, mais par l’annonce de « la bataille de l’uranium », un minerai qui place le Niger au 3e rang des producteurs mondiaux pour réclamer, tout comme le MNJ, un partage équitable de cette ressource avec la population locale. Ce partage que les grandes sociétés refusent, car aveuglées par un appétit féroce pour le gain financier que les mines génèrent. L’enlèvement de Fowler est à mettre dans ce contexte et, à ce titre, il est important de rappeler la déclaration faite à l’AFP par Ben Omar, porte-parole du gouvernement nigérien. Selon le responsable : « Lors des deux précédents séjours, à des dates non précisées, M. Fowler avait demandé une autorisation, qui lui a été refusée, de se rendre sur le site d’Imouraren, au Nord », où se trouve l’un des futurs plus grands sites d’exploitation d’uranium au monde, qui sera opéré par le géant français du nucléaire Areva. Une société, dont le directeur général pour le Niger a été expulsé par Niamey, en juillet 2007, après avoir été officiellement accusé de financer les rebelles touaregs du MNJ.

    La décision est intervenue moins d’un mois après l’expulsion de l’ancien colonel Gilles de Namur, chargé de la sécurité d’Areva au Niger. Le groupe français s’est défendu en affirmant avoir financé un détachement des forces nationales dans le but d’assurer sa sécurité sur le site d’Imouraren, précisant, cependant, que l’argent a été versé directement aux équipes, dont certains de ses hommes a rejoint la rébellion. Rhissa Ag Boula, président du FFR, réfugié en France, est non seulement réclamé par son pays, après avoir été condamné par contumace, mais aussi par l’Algérie, qui a lancé contre lui un mandat d’arrêt international, via Interpol, pour son implication dans des actes de contrebande et de vol de véhicules de Sonatrach, au sud du pays. Le statut dont il bénéficie en France n’est pas fortuit. Les plus avertis savent que cette crise cache en fait une guerre commerciale.

    L’uranium nigérien est stratégique pour Areva. Avec une production, pour l’année 2006, de 4000 t, les sites d’Arlit et d’Imouraren représentent la moitié de la production totale du groupe Areva, bousculée dans la région par l’arrivée, à pas de géant, des Chinois, mais aussi des Australiens, des Sud-Africains et des Indiens. Le Niger, qui abrite visiblement les plus grandes réserves d’uranium d’Afrique, principalement accaparées par Areva, sans que sa population n’en profite, s’est retrouvé dans l’obligation de trouver d’autres partenaires et c’est ainsi que le gouvernement a délivré plus d’une centaine de permis d’exploration à des sociétés canadiennes, américaines, chinoises, indiennes et autres au cours de cette dernière année. Peut-on mettre l’enlèvement des deux diplomates canadiens sur le compte de cette guerre commerciale sans merci, pour l’exploitation des richesses et rien d’autre que les richesses ? La question mérite réponse...
    Par Salima Tlemçani
    El Watan

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