• NIGER: Les efforts des populations du sud pour se nourrir atteignent leurs limites

    Liens sites partenairesTANOUT, 4 mars 2010 (IRIN) - Il manque du monde sur la photo de famille à Garin Dagabi : sur les quelque 42 familles que compte habituellement ce petit village situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Tanout, dans le sud du Niger, 20 chefs de ménages ainsi que 13 familles entières sont partis il y a plusieurs semaines, faute d'avoir pu récolter suite au déficit pluviométrique enregistré lors de la campagne agricole 2009. 

    [Reportage dans le cadre d'une série d'articles IRIN sur la situation alimentaire et nutritionnelle au Niger]


    Au cours du dernier hivernage, qui dure en principe de juin à septembre, ce village situé en zone agro-pastorale n’a reçu en tout et pour tout que deux pluies. « A la première pluie, on a semé du mil, ça a commencé à pousser alors on a fait le cerclage [arrachage des mauvaises herbes], mais ensuite, tout a séché, on n’a rien pu récolter », a expliqué à IRIN Boukary Issouf, le chef du village, entouré des villageois encore présents – en majorité des personnes âgées, des femmes et des enfants. 


    A quelques kilomètres de là, le village de Gouragass n’a pu récolter qu’environ 10 pour cent de sa production habituelle de mil, sorgho et niébé. « En année normale, on arrive à couvrir neuf à 10 mois de nos besoins [alimentaires], mais cette année a été tellement mauvaise qu’on n’avait même pas un mois de réserves après la récolte [en octobre] », a dit à IRIN Alhadji Idi, le chef du village, qui a vu lui aussi son village se vider. 

    « Certains habitants ont quitté le village sans destination précise, d’autres – les hommes seuls principalement – sont partis vers le Nigeria [au sud] ou la Libye [au nord] », a ajouté M. Idi. 


    Le déficit et la mauvaise répartition des pluies enregistrés dans plusieurs poches de cette zone semi-aride en 2009 ont en outre considérablement réduit l’accès, déjà difficile, des populations à l’eau : les habitants de Garin Dagabi vont maintenant l’acheter à Tanout où le bidon de 20 litres est vendu 25 francs CFA [0,05 dollar]. Ceux de Gouragass doivent puiser péniblement une eau trouble à plus de 80 mètres de profondeur dans un puits traditionnel à quelques centaines de mètres du village – mais qui ne suffit pas à couvrir les besoins, a dit M. Idi. « C’est le rationnement, chacun rempli son canari [récipient] à tour de rôle ». 


    Pour se procurer de quoi manger, les villageois qui possédaient du bétail ont commencé à le vendre – une décision qui en dit long sur leurs difficultés alimentaires, a dit Boubakar Batoure, chef de sous-bureau du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA) à Zinder. « Dans cette région, même quand les gens n’ont rien à manger, ils ne vendent pas leurs animaux. S’ils le font, c’est en dernier recours », a-t-il dit, approuvé par les villageois. 


    La mauvaise saison des pluies ayant également engendré un déficit fourrager dans la zone et le recours à la vente de bétail pour acheter des denrées alimentaires s’étant répandu parmi les ménages en difficulté, le prix du bétail a chuté. « Avant, on vendait une brebis au moins 20 000 francs CFA [42 dollars], maintenant ça ne dépasse pas 10 000 », a dit M. Idi. 


    « Quelqu’un qui a 20 têtes maintenant, il ne va plus lui en rester que cinq d’ici les pluies », a ajouté un jeune éleveur rencontré au point d’eau du village de Makanga, à quelques kilomètres de là, avec ses chameaux, ânes et chèvres. « De toute façon, 20 têtes ça ne suffit pas à assurer les besoins [alimentaires] de la famille jusqu’aux prochaines récoltes ». 


    Ceux qui n’ont pas de cheptel ramassent les maigres résidus de récolte et de la paille, utilisés comme fourrage, ainsi que du bois, pour aller le vendre en ville. « Comme beaucoup d’arbres ont été coupés, les gens vont même déterrer des racines de gros arbres à deux ou trois mètres », a dit à IRIN Souleymane Roufaï Kane, de la Direction départementale du développement agricole (DDDA) de Tanout. 


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    Mais les prix des denrées alimentaires disponibles sur les marchés de la zone n’ont cessé d’augmenter. Le mil, l’aliment de base, se vendait 30 pour cent plus cher en décembre 2009, par rapport à la moyenne de décembre au cours des trois années précédentes, selon l’ONG internationale AQUADEV, qui intervient dans la région de Zinder. 


    « On trouve maintenant du mil à près de 600 francs CFA [1,25 dollar] la tia [mesure d’environ 2,5 kg] alors qu’en année normale c’est presque cadeau parce c’est notre département qui ravitaille habituellement [d’autres régions] », a dit à IRIN Yacouba Adjaharou, directeur de la DDDA de Tanout. 


    Les villageois ont donc diminué la quantité disponible lors des repas, a dit M. Idi, le chef de Gouragass. « Là où avant on mangeait deux tias pour un repas, maintenant on n’en mange plus qu’une ». 


    Autre signe marquant, les populations ont déjà recours à la cueillette du ‘jiga’ (maerua crassifolia), des feuilles sauvages qu’elles doivent se partager avec les chameaux et les criquets arboricoles qui transitent par la région en cette saison sèche. 


    « Le jiga est un aliment de pénurie », a dit M. Adjaharou. « Les populations en mangent habituellement en petites quantités, mais lorsque la consommation devient importante, c’est signe de difficultés [d’autant plus que] la cueillette a commencé très tôt [dans la saison] ». 


    A Garin Dagabi, M. Issouf a noté que certains enfants commençaient déjà à montrer des signes de faiblesse. « Ce petit-là a le ventre ballonné, il est faible sur ses jambes », a-t-il dit en désignant un enfant de trois ans. 


    Les 140 tonnes de mil distribuées en octobre via la Cellule crises alimentaires à neuf villages de la zone qui n’avaient rien récolté sont bien loin. L’argent envoyé par les migrants ne suffisant pas non plus à couvrir les besoins, les chefs des deux villages ont lancé un appel. 


    « On a besoin d’aide sous toutes ses formes », a résumé M. Issouf, précisant que les besoins prioritaires étaient des vivres et de l’eau, et que les villageois préféraient une aide contre travail plutôt que gratuite. 


    Selon M. Idi de Gouragass, « le village n’avait pas connu une situation aussi difficile depuis [1984, l’une des plus graves crises alimentaires au Niger]. Même [2005] n’était pas aussi dur. Et ça vient à peine de démarrer. Je ne sais pas comment on va faire ». 



    Des banques céréalières non réapprovisionnées

    Contrairement à Gouragass, le village de Garin Dagabi dispose d’une banque céréalière, mise en place il y a trois ans avec le soutien du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF). Mais cette banque, qui disposait au départ d’un stock de 10 tonnes de céréales, n’en contient plus aujourd’hui qu’environ trois tonnes, les cultivateurs ayant été dans l’incapacité de rembourser leurs emprunts.

     

    « On a un peu d’argent dans la caisse pour acheter d’autres sacs [de mil], mais au prix actuel on ne peut pas se le permettre et il faut aller loin pour en trouver », a dit M. Issouf, le chef du village. « [Le stock disponible actuellement] ne peut couvrir les besoins du village que pendant un mois de travaux champêtres ».

     

    « Les populations connaissent la période de soudure et elles savent qu’il faut des forces pour travailler dans les champs, c’est pour ça qu’elles préfèrent attendre et ne pas utiliser [le stock] avant l’hivernage », a expliqué M. Kane de la DDDA.

     

    Pour M. Issouf, le chef de Garin Dagabi, « si l’Etat fait maintenant une vente [de denrées alimentaires] à prix modérés, on pourra reconstituer les stocks de la Banque céréalière ».
    ail/ci
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