• Mohamed Bazoum: “Nous allons perturber le référendum du 4 août”

    Vice-président du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), Mohamed Bazoum est connu pour son verbe, acéré, surtout à l’endroit de Mamadou Tandja. Dans cet entretien, qu’il nous a accordé en marge du 4e congrès ordinaire du CDP, auquel il était invité, il qualifie justement le président nigérien de “hors-la-loi” et martèle que l’opposition donnera du fil à retordre aux partisans du référendum du 4 août 2009. Des sanctions suspendues au-dessus de la tête du président en passant par la position de l’armée, “neutre”, mais qui se trouve dans le même contexte qui prévalait en 1999 du temps de Baré Maïnassara, Bazoum ne laisse aucun répit à Tandja, dont la seule voie de salut, selon lui, est le départ.

    Mohamed Bazoum, vous êtes le vice-président du PNDS, et le 4e congrès du CDP a été une tribune pour vous d’évoquer la situation actuelle au Niger. Succinctement, quel est l’état des lieux politiques de votre pays ?


    • C’est un coup d’Etat ! Je l’ai déjà dit et je l’ai répété lors de mon intervention à l’ouverture du congrès du CDP. C’est un coup d’Etat rampant dont le point d’orgue sera le référendum, prévu pour le 4 août 2009. Monsieur Tandja a dissout l’Assemblée nationale, il a suspendu la Constitution, il a dissout la Cour constitutionnelle et il a convoqué un référendum pour faire passer une nouvelle constitution.

     

    Dans cette constitution, il prévoit 3 années de pouvoir à lui tout seul, sans élections. Puis une possibilité illimitée de se représenter pour un mandat de 5 ans dans le cadre d’un régime présidentiel comme il n’en existe nulle part au monde, avec tous les pouvoirs concentrés entre ses mains.

     

    Cette situation n’est évidemment pas tolérable ; contrairement à bien de pays d’Afrique, le Niger a de solides institutions avec une démocratie authentique... et cette belle expérience, les Nigériens ne permettront pas qu’elle soit compromise aussi facilement que l’espère M. Tandja. Nous allons lui résister, et vous verrez que nous résisterons.

     

    Il y a quelques jours de cela, lors d’un séminaire relatif à la communication politique, tenu à Ouagadougou, un conseiller de Tandja, M. Kanta, affirmait qu’il ne s’agit nullement d’un coup d’Etat, mais d’un montage de l’opposition.


    • Je ne sais pas, mais qu’est-ce qui peut pousser l’opposition à faire ce montage, si montage il y a ? Nous sommes dans ce pays et je ne sais pas de quoi il parle. J’ai des difficultés à répondre à votre question. Je lis les articles que vous consacrez au Niger, et je crois comprendre que vous n’ignorez pas ce qui s’y passe.

     

    On a l’impression qu’il y a des fissures au sein de l’opposition avec les positions, souvent ambivalentes, de Mahamane Ousmane, président de la CDS...


    • Bien au contraire, il faut se souvenir que monsieur Mahamane Ousmane était le principal allié de M. Tandja. C’est lui qui l’avait soutenu en 1999 et en 2004. Et pendant longtemps, il a continué à avoir des illusions sur la capacité de Tandja à entendre raison, à reculer... Pendant longtemps, il a essayé de le ménager, espérant qu’il ne franchirait pas le Rubicon.

     

    Lorsque nous avons créé le Front pour la défense de la démocratie (FDD) avec les partisans de M. Hama Amadou, avec feu Moumouni Djermakoye et un certain nombre d’activistes de la société civile, de syndicats, M. Mahamane Ousmane était encore au gouvernement, son parti, la CDS, y était encore. Même lorsque les ministres de ce parti ont démissionné du gouvernement, M. Mahamane Ousmane pensait toujours qu’on pouvait dialoguer avec M. Tandja, le ramener à la raison.

     

    C’est sur le tard qu’il a désespéré de M. Tandja et s’est rapproché de nous. Aujourd’hui, nous sommes sur les mêmes positions et l’unité est une réalité. A preuve, il y a eu un grand rassemblement à Zinder aujourd’hui (NDLR : 25 juillet 2009) auquel ont pris part des militants de la CDS. Donc l’opposition est en train de s’unifier pour empêcher ce référendum.

     

    Concrètement, que fera l’opposition pour empêcher cela ? D’aucuns estiment même que ce référendum aura lieu sans heurts et que le reste passera comme une lettre à la poste...


    • Au contraire, je pense que les difficultés de M. Tandja vont commencer le 4 août prochain. D’abord, nous allons perturber ce référendum...

     

    Vu que Tandja a prévenu qu’il ne permettrait pas de manif ce jour-là, vous n’avez pas peur de subir les rigueurs de la loi ?


    • M. Tandja est dans l’illégalité, il n’a plus de légitimité. Son pouvoir est illégitime. Il a démoli les institutions, et est en train d’organiser un référendum dont le décret avait été annulé par un arrêt de la Cour constitutionnelle. C’est un hors-la-loi ! Ce n’est pas lui qui prescrit les normes, ce n’est pas lui qui doit nous dire quelles sont les normes. Ce qui est légal, c’est l’arrêt de la Cour constitutionnelle, qui nous lie et qui s’oppose au référendum.

     

    La norme, c’est l’article 29 de la Constitution, qui prescrit qu’il faut respecter justement la Constitution. Et l’article 115 de cette même Constitution dit que les arrêts de la Cour constitutionnelle lient les autorités et tous les pouvoirs. C’est pourquoi l’argument de M. Tandja n’est pas recevable, surtout de la part d’un homme qui s’est mis en marge de la loi.

     

    Le jour où M. Tandja donnera des chiffres préfabriqués sur le taux de participation à ce référendum, son représentant sera exclu de l’Union africaine, et ce jour-là, la CEDEAO va mettre en œuvre toutes les mesures qui sont prévues dans le cadre des sanctions à prendre contre un régime qui s’impose par la force à la faveur d’un coup d’Etat.

     

    Vous attendez vraiment quelque chose de l’Union africaine et de la CEDEAO ? Ces institutions n’ont-elle pas prouvé leurs limites dans la gestion de ce genre de crise politique ?


    • Vous verrez que la CEDEAO prendra des mesures qui feront énormément mal à M. Tandja. L’Union européenne (U.E.) a déjà arrêté le décaissement de l’aide budgétaire (NDLR : l’aide extérieure participe à hauteur de 65% au budget du Niger), si précieuse pour M. Tandja. Et le 4 août, elle annoncera probablement qu’elle va engager des discussions par rapport à l’article 96 de l’Accord de Cotonou, pour arrêter toute coopération avec M. Tandja.

     

    Ce jour-là, le gouvernement des USA fera un communiqué pour lui dire qu’il ne lui reconnaît aucune légitimité, parce qu’il a fait un coup d’Etat. Vous verrez que ce jour-là, toutes ces institutions parleront d’une même voix. Toutes ces institutions agissent de concert, et leur mission sont tripartites (ONU, UA et CEDEAO). Et au niveau de la CEDEAO, c’est au Nigeria qu’on a confié la mission de s’occuper du dossier Niger.

     

    Et les autorités nigérianes ont été très claires pour dire à M. Tandja de ne pas organiser son référendum, sous peine de subir des sanctions. Il a passé outre à leur remarque avec beaucoup d’arrogance. Il le paiera et, je vous le répète, le 4 août prochain, débuteront véritablement les problèmes de M. Tandja. A partir de cette date, il n’a plus de légitimité, même la petite qui lui restait de son élection de 2004. Il deviendra un vulgaire putschiste.

     

    Vous avez évoqué la batterie de mesures coercitives que la Communauté internationale s’apprêterait à appliquer à Tandja à partir du 4 août. Ne craignez-vous pas que ce ne soit finalement les pauvres populations qui soient victimes de ces oukazes ?

     

    • Mais les sanctions des différentes institutions internationales sont prévues en connaissance de cause de leur incidence sur les populations ! Si on ne devait que considérer cet aspect des choses, on n’en aurait même pas prévu le principe. Donc il faut qu’on soit cohérent. Si on les a prévues malgré leur inconvénient à certains égards, c’est qu’elles sont nécessaires. Et on ne peut pas, à chaque fois que l’on doit les appliquer, prétendre qu’elles ont des impacts qui sont négatifs sur la vie des populations pour ne pas avoir à les appliquer.

     

    Nous, tout en sachant qu’elles auront cet impact, tout en revendiquant que nous sommes du peuple, dont nous sommes l’émanation, nous disons qu’il faut les maintenir, car c’est la seule façon d’empêcher ce pouvoir à continuer d’avoir les ressources grâce auxquelles il tient. Il faut écourter la durée des régimes comme celui de M. Tandja, et les sanctions sont le meilleur moyen à cet effet.

     

    L’armée nigérienne dit se tenir à équidistance du camp de Tandja et de celui de l’opposition. Mais est-ce que vous estimez que la grande muette peut-être amenée à arbitrer au Niger ?

     

    • Je n’en sais rien. Il reviendra à l’armée de faire ce qu’elle a affaire. Mais j’ai noté qu’en même temps que les militaires disent qu’ils sont neutres, ils ont convié la classe politique au dialogue, et je note que M. Tandja, malgré les nombreuses missions envoyées de l’extérieur pour lui demander d’envisager le dialogue est resté sourd à ces appels. Par conséquent, j’estime qu’il n’est pas allé dans le sens que veut même l’armée. Mais pour nous, ce n’est pas la chose la plus importante. Nous, nous continuons notre combat, et nous allons l’emporter sur lui.

     

    En tant qu’acteur politique du Niger, comment voyez-vous l’issue de cette crise politique ?

     

    • Ce que M. Tandja veut faire, il le fait contre la volonté du peuple du Niger. Il est aidé en cela par des gens qui ont joué le même rôle avec le général Ibrahima Baré Maïnassara. Ce sont les mêmes acteurs qui tiennent les mêmes propos. Il suffit simplement de remplacer le nom de Tandja par celui de Baré pour que vous soyez dans la même situation qu’en 1999. M. Tandja, qui est atteint de mégalomanie, est en train de narguer la communauté internationale.

     

    Il est en train de faire des choses qu’un homme sensé ne peut pas faire. Il ne peut pas, dans ces conditions-là, prospérer. Il ne peut pas avoir contre lui le peuple du Niger, avoir contre lui la communauté internationale et tenir. Il tiendra pour un petit temps seulement. Mais pas pour longtemps.

     

    Nous sommes en possession de documents prouvant que son fils et un de ceux qui le soutiennent ont signé un contrat avec une société australienne qui est venue faire de la recherche dans le domaine de l’uranium. Son fils est impliqué dans le business de l’uranium, dans l’octroi des permis de recherche, il est courtier, il prend des rendez-vous pour son père...

     

    Certains contrats sont déjà signés, par exemple avec AREVA concernant la mine d’Imouraren ?

     

    Oui, mais combien de permis qui étaient dévolus à AREVA ont été détournés par Tandja ? Il les a pris et les a donnés à son fils pour qu’il les vende à d’autres sociétés. M. Tandja s’est fait passer pour un nationaliste en prenant des permis qui étaient octroyés à AREVA depuis longtemps. Alors que son intention est de les mettre aux enchères. Et ce sont des Australiens, des Canadiens, des Chinois qui en sont les bénéficiaires.

     

    Vous voulez dire qu’AREVA n’est plus sur Imouraren ?

     

    • AREVA, c’est un seul permis, mais M. Tandja en a distribué une trentaine, dont une bonne part appartenait à cette société ; AREVA est une grande société qui a une démarche éthique. Enfin, le clan Tandja est dans le transport, c’est ça, les affaires ! Et c’est ça qui fait que M. Tandja veut rester au pouvoir. Nous avons révélé cela à l’opinion internationale.

     

    Et tous ceux qui prenaient M. Tandja pour un fou comprennent que les motivations réelles, c’est l’argent de l’uranium, qui fait qu’il se comporte ainsi. Il est loin d’être fou. Et les Nigériens le savent désormais, c’est pourquoi il va lui être difficile de rester au Niger avec arrogance.

     

    lobservateur

    « TOUAREG de ZEKARA dessins aux crayons...Ecoute en avant-première de "Imidiwan" »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,