• Mamadou Tandja peut-il rempiler ?

    Surfant sur une conjoncture favorable, le président de la République annonce la tenue d’un référendum pour changer la Constitution et se donner ainsi la possibilité de briguer un troisième mandat.

    Six mois après les premières « manifestations populaires spontanées » demandant une révision de la Constitution pour lui permettre de briguer un troisième mandat, le président Mamadou Tandja, 71 ans, est sorti de son mutisme. Le 5 mai, à Agadez, en marge de la cérémonie de lancement des travaux autour du gisement d’Imouraren, il a affirmé qu’il lui était difficile de « rester insensible à l’appel du peuple ». L’inauguration de ce qui sera la plus vaste mine d’uranium à ciel ouvert en Afrique et dont la mise en service fera du Niger le deuxième producteur de la planète intervient alors que le chef de l’État nigérien vient tout juste d’établir le dialogue avec les rebelles touaregs, en guerre contre le pouvoir central depuis février 2007. Profitant d’une conjoncture éminemment favorable, Tandja a donc décidé de surfer sur ces succès pour dévoiler ses intentions.

    Cependant, l’objectif qu’il s’est fixé ne sera pas forcément facile à atteindre. Si, comme n’importe quel texte fondamental, la Constitution du Niger peut être révisée ou amendée par la voie parlementaire ou référendaire, l’une de ses dispositions exclut cette possibilité avec deux articles en particulier : celui concernant l’amnistie accordée aux auteurs du coup d’État militaire du 9 avril 1999, qui avait coûté la vie au président Ibrahim Baré Maïnassara (article 141), et celui limitant le nombre de mandats présidentiels à deux (article 36). Pour contourner cette difficulté, Tandja envisage de recourir au suffrage universel. « Si la Constitution interdit un troisième mandat, elle autorise un référendum, car c’est au peuple de décider. » S’il envisage un référendum, il devra l’organiser avant l’échéance de son mandat, en décembre 2009. Un processus qui ne manquera pas de bouleverser l’agenda électoral de l’année en cours, le mandat des assemblées municipales devant s’achever à la mi-juin et celui du Parlement en décembre. 

    Levée de boucliers

    Le succès de cette démarche ne repose pas uniquement sur la popularité de Baba Tandja, comme l’appellent ses partisans. Il dépendra aussi des capacités de mobilisation de la classe politique, hostile à toute « mise entre parenthèses de la légalité républicaine », selon la formule du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS), que préside Mahamadou Issoufou, rival du chef de l’État lors des deux dernières présidentielles. Autre difficulté pour Tandja : les adversaires du troisième mandat ne se recrutent pas uniquement dans les rangs de l’opposition. Mamane Ousmane, leader de la Convention démocratique et sociale (CDS), président du Parlement et allié électoral qui a permis à Tandja de remporter les présidentielles de 1999 et de 2004, refuse toute idée de « toucher à la Constitution ». Autre grande figure politique à s’y opposer : Moumouni Adamou Djermakoye. Le leader de l’Alliance nigérienne pour la démocratie et le progrès (ANDP), de surcroît président de la Haute Cour de justice, estime que « cette démarche met en péril la paix et la stabilité du pays ». Mais Tandja semble plus à l’écoute des tenants du mouvement Tazartché (« continuité », en haoussa).

    « Dans toutes les régions du Niger, les populations sortent pour dire “Continue !” au président. Ce cri spontané signifie qu’il a obtenu des résultats », veut croire Issoufou Tamboura, le secrétaire à la communication du Mouvement national pour la société du développement (MNSD-Nassara), le parti présidentiel. C’est donc sur la base de son bilan que Tandja veut convaincre le suffrage universel de modifier la Constitution.

    Il est vrai que, depuis son accession au pouvoir, le 24 novembre 1999, dans un pays ayant vécu deux coups d’État (1996 et 1999), Tandja peut effectivement se targuer d’avoir ramené un peu de sérénité. Mise en place d’institutions fortes et stables, lancement de grands travaux d’infrastructures, diversification des partenaires économiques, affirmation des intérêts du Niger sur la scène internationale… même ses plus farouches opposants lui concèdent d’avoir remis le pays en ordre de marche et respecté le fonctionnement démocratique des institutions. Le vote d’une motion de censure contre l’ancien Premier ministre, Hama Amadou, en mai 2007, en est sans doute l’exemple le plus abouti.

    « Il a su mener à bien le rapprochement entre le peuple et l’administration. Il a achevé le processus de décentralisation avec la mise en place de 265 communes et créé un Haut Conseil des collectivités territoriales (HCCT) », reconnaît Amadou Lawal Edmond, secrétaire général adjoint de la CDS de Mamane Ousmane. « C’est un homme de terrain, qui n’hésite pas à mettre la main à la pâte. Les grands chantiers qu’il a relancés suscitent l’admiration des Nigériens, qui ont enfin l’impression de voir les choses bouger », reconnaît de son côté Sanoussi Jackou, député et patron du Parti nigérien pour l’autogestion (PNA, opposition). Il est vrai qu’en inaugurant les travaux de construction d’un deuxième pont sur le fleuve Niger, à Niamey, du barrage de Kandadji, à Tillabery, ou d’une raffinerie de pétrole, à Zinder, le chef de l’État est en passe de concrétiser des projets longtemps négligés. 

    Plongée dans l’inconnu

    Mieux : le renforcement des liens entre Niamey et Pékin a permis au chef de l’État de se poser en défenseur intransigeant des intérêts du pays, quel qu’en soit le prix. En obtenant auprès du groupe français Areva une substantielle revalorisation du prix de vente de l’uranium, « le président a eu le courage de s’opposer à l’impérialisme d’Anne Lauvergeon [présidente du directoire d’Areva, société exploitant l’uranium nigérien, NDLR] et de Nicolas Sarkozy. Connaissez-vous beaucoup de chefs d’État africains qui, dans le passé, ont osé dire non à de Gaulle, Giscard, Chirac ou Mitterrand ? » s’interroge Sanoussi Jackou. 

    « Reste qu’invoquer le bilan du président pour justifier la prolongation de son mandat, c’est un argument farfelu », fustige Marou Amadou, président du Front uni pour la sauvegarde des acquis démocratiques (Fusad), une coalition d’une vingtaine de syndicats et d’ONG opposés au maintien du chef de l’État au pouvoir. « Mamadou Tandja n’a-t-il pas été élu précisément pour travailler à l’amélioration des conditions de vie de tous les Nigériens ? Ceux qui appellent à une prolongation de son mandat ne sont que des courtisans et des aventuriers qui risquent de plonger le Niger dans l’inconnu ! » s’alarme celui-ci.

    Le risque de voir réapparaître les rivalités politiques qui avaient replongé le pays dans l’instabilité au milieu des années 1990 est bien réel. Dans la majorité comme dans l’opposition, l’heure ne semble pas encore être à un renouvellement des hommes. « L’immobilisme est fort. L’écrasante majorité des préfets, des diplomates, des dirigeants d’entreprise et des officiers n’a pas changé en une décennie. Ils forment une mafia qui s’est incrustée à la tête de l’État. Avec eux, les jeunes ne perceront jamais », déplore un opposant. « L’idée de prolonger le mandat de Tandja a commencé à germer dans certains esprits il y a trois ou quatre ans, quand les Nigériens se sont aperçus que les trois dirigeants politiques de la cohabitation houleuse de 1995 [qui avait débouché sur le putsch du 27 janvier 1996, NDLR] pourraient s’affronter à nouveau à l’occasion de l’élection présidentielle de 2009 », renchérit un observateur.

    La situation inquiète d’autant plus que le contexte économique et social reste précaire, et la bonne gouvernance un vœu pieux. Dans son dernier rapport annuel, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) classe encore le Niger au 174e rang – sur 177 – du palmarès du développement humain, le même rang que celui où il était quand Tandja est arrivé aux affaires. Quant à la lutte contre le pillage des ressources de l’État, elle n’en est qu’à ses balbutiements. Si le lancement d’une opération « mains propres », il y a quelques mois, semble témoigner de la volonté du président de réduire la corruption, les multiples « affaires » qu’elle révèle montrent combien la pratique s’est généralisée dans le pays. Pis : elle est parfois instrumentalisée à des fins politiques. L’affaire de l’ancien Premier ministre Hama Amadou, longtemps présenté comme le dauphin de Tandja et aujourd’hui accusé de détournement de fonds publics, est perçue par une partie de l’opinion comme une tentative d’éliminer un adversaire plutôt que comme la volonté de limiter les ravages de la corruption. L’autre grande inconnue tourne autour de l’attitude de l’armée. Dans un pays où la grande muette a toujours été prompte à sortir des casernes, l’enjeu du référendum ne concerne pas uniquement la question du troisième mandat mais également l’amnistie accordée aux auteurs du coup d’État de 1999. Ses commanditaires sont toujours aux affaires et ils auront certainement leur mot à dire.
     Jeune Afrique

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