• Le pouvoir au bout du fusil

    Institutions dissoutes, classe politique écartée, le Niger traverse une nouvelle période délicate de son histoire. Reportage de notre envoyé spécial.

    Une semaine après avoir pris le pouvoir, le 18 février, le chef d’escadron Salou Djibo ne s’était toujours pas adressé à ses concitoyens. Souci de discrétion ? « Pas seulement, assure un officier supérieur qui l’a longtemps côtoyé dans les unités opérationnelles, notamment face aux rébellions touarègues, dans le nord du pays, ou à celle des Toubous, autour du lac Tchad. S’il préfère les actes aux discours, c’est avant tout pour éviter que le Niger ne retombe dans le travers du culte de la personnalité. » Il faut dire que ce culte de la personnalité rapporte peu dès que le temps change. L’opération qui a renversé Mamadou Tandja n’a duré que trente minutes, il n’a fallu que quelques heures à ceux qui, hier encore, louaient le « tazartché » (« continuité », le cri de ralliement de ses partisans) pour applaudir dans la rue les militaires. Hormis son parti, le Mouvement national pour la société de développement (MNSD-Nassara), qui a demandé sa libération, nul ne semble pleurer le président déchu. Pas même la communauté internationale.

    Habituellement promptes à condamner les violations de l’ordre constitutionnel, ni l’Union africaine (UA) ni la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) ne réclament le retour de Tandja aux affaires, se contentant de recommandations pour que « la transition soit le plus courte possible ». Quant à l’opposition nigérienne, elle a bien tenté de profiter de cette nouvelle donne, mais elle a été très vite refroidie par les déclarations d’un des principaux animateurs du putsch, le commandant Djibrilla Hima Hamidou, alias Pelé : « Nous ne roulons pour personne », ne cesse-t-il de marteler.

    « Assainir la situation »

    « Nous voulons atteindre trois objectifs, ajoute le colonel Abdulkarim Goukoye, patron du renseignement militaire et porte-parole de la junte : assainir la situation politique, réconcilier les Nigériens et, enfin, restaurer la démocratie en organisant des élections générales libres et transparentes. » Vaste programme ! Le seul premier objectif pourrait prendre des années tant la classe politique est divisée et ses dirigeants – tous jugés responsables de l’impasse – profondément discrédités aux yeux des putschistes.

    Si le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD) a annoncé un nouveau code pénal et une nouvelle Constitution, « nous n’avons pas dissous la justice », assure le colonel Goukoye. Or il se trouve que les principaux acteurs politiques qui devraient être associés, d’une manière ou d’une autre, à la transition sont sous le coup de poursuites judiciaires. L’ancien Premier ministre, Hama Amadou, chef du parti Lumana, est sous le coup d’un mandat d’arrêt international. L’ex-président de la République, Mahamane Ousmane, patron de la Convention démocratique et sociale (CDS-Rahama), est en quasi-exil au Nigeria. Quant à Mahamadou Issoufou, président du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarraya), il est poursuivi pour malversations.

    Transition

    « Par assainissement, nous entendons la moralisation de la gestion des deniers publics et la lutte contre la criminalité économique, précise le porte-parole. Même s’il n’est pas question de sombrer dans une chasse aux sorcières », nuance-t-il. Hama Amadou peut-il revenir de son exil parisien ? « Le mandat d’arrêt avait été gelé dans le cadre du dialogue mené par la Cedeao. Et, à ma connaissance, il n’a pas été réactivé. »

    S’il ne parle pas beaucoup, le nouveau chef de l’État, Salou Djibo, reçoit beaucoup. Ce militaire, apprécié de la troupe pour sa hargne au combat, sait faire preuve de diplomatie. Il tente de rassurer ses interlocuteurs sur ses intentions de rendre, dès que possible, le pouvoir aux civils. Mais que ce soit Ramtane Lamamra, commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine, Mohamed Ibn Chambas, président de la Commission de la Cedeao, ou bien encore Soumaïla Cissé, président de la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), aucun de ces « envoyés spéciaux » n’a eu de précisions sur la durée de cette transition. Soumaïla Cissé comprend le dilemme. « Il vaut mieux s’abstenir de donner une date que d’en fixer une et, fût-ce pour des raisons objectives, ne pas pouvoir la respecter. »

    Divisions sur le cas Tandja

    Salou Djibo ne se contente pas de donner des gages aux émissaires internationaux. Il en donne aussi aux Nigériens. Pour sa première sortie publique en tant que chef de l’État, il a choisi de rendre visite au général Ali Saïbou, « l’ATT nigérien », au pouvoir de 1987 à 1993, et qui a su remettre le pouvoir aux civils à l’issue d’une conférence nationale et d’une élection présidentielle. Autre gage donné par le commandant, aux militaires cette fois, lors d’une longue audience accordée aux anciens officiers des Forces armées nigériennes (FAN) : il sera le garant de l’unité de l’armée. « Des quatre coups d’État en cinquante ans, c’est le premier qui n’a pas été orchestré par l’état-major. Qu’il s’agisse de Kountché en 1974, ou de Baré Maïnassara en 1996, c’est le commandement qui avait agi. Celui du 18 février a été piloté au nez et à la barbe de l’état-major. Rien ne dit que cela ne laissera pas de séquelles au sein de l’institution militaire », analyse Ali Sabo, un baron du MNSD.

    Amertume d’un partisan de Tandja ? Pas sûr. Le flou quant à la situation du chef d’état-major, le général Moumouni Boureïma – que l’on dit tantôt assigné à résidence, tantôt libre de ses mouvements –, n’aide pas à lever les interrogations qui planent sur l’unité de l’armée. « La seule certitude est que le général Moumouni Boureïma a été écarté. Il a été contraint de venir, le 19 février, à l’état-major pour faire ses cartons, raconte un témoin de la scène. C’est plus un acte de considération que d’humiliation. On lui a permis de nettoyer son bureau. »

    L’unité de la junte est également mise à mal à propos de Tandja. Sera-t-il jugé ? « Pas question », affirme Pelé, qui en est à son troisième coup d’État après ceux de 1996 et de 1999. Le moins que l’on puisse dire est que cette attitude ne fait pas l’unanimité parmi les « Enfants », surnom donné aux jeunes officiers putschistes. Salou Djibo fait partie des éléments les plus sévères à l’égard de l’ancien président, qui « n’a pas fait honneur à son statut d’officier de l’armée nigérienne. »

    Que faire de Tandja ? L’envoyer en exil au Maroc, comme l’a laissé entendre une rumeur avant que Rabat ne démente ? Pour l’heure, aucune décision ne semble avoir été prise. « Tandja est capable de revenir par les urnes si la prochaine Constitution le lui permet », s’enthousiasme un de ses militants, mais il y aura certainement loin de la coupe aux lèvres. Pour l’heure, les militaires pensent à combler les énormes vides institutionnels. Il y a une cinquantaine de partis politiques au Niger et une demi-douzaine d’alliances politiques à géométrie variable. En outre, l’ordonnance du CSRD fixant l’organisation de la transition laisse entendre que la junte veut cumuler les pouvoirs exécutif et législatif. Le conseil consultatif, composé de représentants des Forces vives, qui doit être mis en place rapidement, n’aura qu’un rôle limité. Ce ne sera donc pas une assemblée constituante. À la sortie de l’audience que lui a accordée Salou Djibo, Soumaïla Cissé a soupiré : « Ils auront besoin de nombreux juristes de talent. »

    « Nous avons l’habitude »

    À Niamey, le putsch semble avoir été digéré. « Nous avons l’habitude, plaisante Abdou, chauffeur de taxi. Ce n’est pas quelques tirs qui vont nous empêcher de sortir. » Les incertitudes se sont vite envolées avec la levée du couvre-feu et la réouverture des frontières. Le dispositif militaire n’est pas plus impressionnant que d’habitude. « Avec ou sans Tandja, la vie est toujours aussi dure, se plaint Hadja, secrétaire dans une entreprise publique. La première question qui nous est venue à l’esprit quand les armes se sont tues a été la suivante : est-ce que les nouveaux patrons vont pouvoir payer nos salaires ? » Jeune Afrique 

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