• Le Blues des Touaregs

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    Plusieurs albums, que la presse des musiques du monde nomme le blues du désert sont sortis fin 2009 et début 2010. Malheureusement, même si cette appellation apparaît un peu “tendance” la presse bleue, elle, fait régulièrement l’impasse sur cet apport majeur à ce type de musique qui met l’auditeur en joie et donne envie de partager dans cette France de plus en plus sinistre où crise s’allie à délocalisation, liberté devient fric, égalité s’écrit charter, et fraternité rime avec SDF, sans pap, RSA.

    Au mieux dans les colonnes bleues, trouve-t-on quelques lignes sur Ali Farka Touré, nigérien décédé il y a 5 ans (Ah messieurs dames, c’était un bon musicien pensez Ry Cooder, Taj Mahal ou Clarence Gatemouth Brown sont venus jouer avec lui ! ).
    En passant laissez-vous aller à l’écoute du dernier album d’Ali Farka Touré et Toumani Diabaté sorti en ce début d’année “Ali & Toumani” dans le droit fil d’“In the Heart of The Moon” sorti en 2005. Ali déjà gravement malade a enregistré cette suite avec son compère à la kora accompagnés à la basse sur quelques titres par Orlando “Cachaito” Lopez, (eh oui, le monde est petit il s’agit bien du même Orlando Lopez qui participaient avec d’autres illustres inconnus, à l’époque, à un film documentaire sous la houlette d’un certain Ry Cooder, j’ai nommé Buena Vista Social Club de Wim Wenders.

    Cet album tout aussi lumineux et chaleureux que le précédent a réchauffé quelques soirées de cette fin d’hiver interminable en mettant de la chaleur dans le cœur de l’auditeur à défaut d’en avoir à l’extérieur. Remède souverain contre la grisaille de ces longues journées hivernales, “Ali & Toumani” reste l’exemple fragile et tellement enivrant d’une musique à la croisée des chemins entre le blues et la musique traditionnelle de l’ouest africain. Apport musical souvent boudé dans nos milieux bleus qui méconnaissent ces dizaines d’autres nigériens, sénégalais ou maliens (entre autres) qui comme Farka Touré jouent cette musique dont certains n’hésitent pas à dire qu’elle est une des bases historiques des musiques afro-américaines de la fin du XIXe et du XXe siècle.

    Et dans ces régions du Mali et du Niger (mais aussi du sud algérien, lybien et burkinabé) vit un peuple traditionnellement nomade : les touaregs. Un peuple qui, depuis bientôt vingt ans, s’est soulevé pour faire reconnaître ses droits. Face à l’indépendance des années 60, les touaregs, minoritaires dans ces états sud sahariens furent les grands perdants de la décolonisation. Mettez quelques “entraves“ frontalières de ces nouveaux états. Ajoutez à cela des sécheresses à répétition décimant le bétail (raison principale de l’antique économie de transhumance de ces populations) et condamnant ces hommes à une sédentarisation forcée. Epicez d’un gros zeste de corruption des pouvoirs centraux de ces différents états, un peu de coups d’états militaires dans un certain nombre de ces pays (le dernier en date tout récemment encore au Niger) et vous aurez vite un état du délabrement de la vie sociale des populations locales, particulièrement des touaregs, ces dernières décennies.

    De moins en moins nomades et de plus en plus contraintes à une sédentarisation forcée, composées de plusieurs fédérations de tribus, ces populations sont confrontées à des formes d’assimilation culturelle et linguistique, à une marginalisation économique.
    La jeune génération des Targuits (autre nom donné à ces populations) des années 90, contrainte à la sédentarisation n’a connu que l’exil et la précarité (d’où le nom d’Ishumar, déformation du français chômeur, donné à ce courant musical). Tout cela a conduit à la lutte armée dans les années 90.

    Loin de nous ici l’idée d’exposer les raisons, les motivations des différentes composantes de ces combattants. D’autant que pour retracer cette histoire il faudrait également aborder la problématique des tribus et des castes au sein de la société touarègue.
    Les touaregs sont une composante berbère et sont considérés comme l’un des premiers peuples de l’Afrique nord saharienne, refoulés vers le sud par les invasions arabes du VIIe au Xe siècle. Leur surnom d’hommes bleus leur vient du chèche – longue bande de tissu portée en turban et entourant leur visage – souvent teint en bleu (indigo) et dont la teinture instable finit par pigmenter la peau. Leur langue est le Tamasheq et souvent les touaregs se nomment Kel Tamasheq (ou Tamashek). Les Touaregs ont conservé leur alphabet, le Tifinagh.
    Complexes, l’identité de ces populations et les luttes qu’ils ont mené et mènent encore se sont confirmées à travers leur musique depuis les années 90 jusqu’à nos jours. Cette musique d’instruments traditionnels et de guitares acoustiques s’est vu adjoindre dans cette période la guitare électrique. En tamashek, il existe un mot pour désigner ce courant musical : Assouf, qui signifie la nostalgie.

    Revenons aux musiciens !
    Traditionnellement, la musique touarègue est d’une grande mixité où hommes et femmes tiennent leur place sans prédominance. Il faut savoir que dans la société touarègue, les femmes peuvent choisir (et divorcer de) leur mari. Particularité intéressante dans cette période, les femmes portent un foulard mais laissent voir leur visage et ce sont les hommes qui sont généralement voilés !
    Et l’on peut trouver, comme dans Tartit , plus de femmes que d’hommes. Les femmes de cet ensemble qui viennent toutes de la région de Tombouctou se sont « réunies » (traduction littérale du mot tartit) dans un camp de réfugiés durant la rébellion des Touaregs contre le gouvernement malien.
    Historiquement ce fut le premier groupe à se faire connaître en Europe dès la fin des années 90, par plusieurs tournées dans nos contrées. Leur premier album “Amazagh” date de 1997, suivi en 2000 de “Ichichila” Leur troisième album “Abacabok” est sorti en 2006. La prédominance des femmes dans ce groupe en fait un groupe plus traditionnel et vocal où la place de l’électrification musicale est la moins prépondérante en comparaison d’autres ensembles apparus dans la même période. Tartit (5 femmes et 4 hommes plus une pléiade d’invité(e)s sur Abacabok) a peu électrifié sa musique, à l’exception d’une guitare électrique pour l’accompagnement. C’est, accompagnées de leurs griots aux Tehardents (luth à trois ou quatre cordes) et à l’Imzad, qu’elles chantent leur vie, leur tradition et jouent les Tindés (ancien pilons recouverts d’une peau de chèvre).

    L’un des précurseurs de ce style musical est au Niger Abdallah ag Oumbadougou fondateur du groupe Takrist n’Akal (signifiant Construire le pays) dont les enregistrements sont quasi introuvables en France excepté le remarquable album auquel il a participé “Desert Rebel” .

    Du Mali, Ibrahim ag Alhabib, Alhassane ag Touhami et Entayaden, exilés en Algérie puis en Libye sont à l’origine du groupe Tinariwen. Réunis alors sous le nom d’Azawad, ces musiciens ont enregistré en 1999 au Chabada d’Angers. Peu de temps auparavant, ils avaient rencontré pour la première fois le groupe angevin Lo’ Jo et leur manager qui s’investirent dans la création du Festival du Désert dont vient d’avoir lieu début janvier la dixième édition. Les musiques touarègues depuis n’ont cessé de se faire connaître à travers le monde.

    Au son des guitares acoustiques et électriques, les musiciens de Tinariwen ont porté les revendications de leur peuple pendant la rébellion touarègue des années 1990, faisant ainsi de la musique une arme si puissante que les gouvernements du Mali et du Niger en avaient interdit l’écoute. Malgré les menaces, les cassettes clandestines ont circulé dans tout le pays touareg, répandant des messages de révolte en Tamashek, appelant les jeunes hommes à prendre les armes.
    Ils ont créé un style unique, mélange de musique moderne (blues, rock, …), de musique arabe et de musique traditionnelle touarègue, qui parle aussi bien d’amour et d’honneur, que de politique et de faits guerriers. Dans leur lignée, de nombreux groupes sont nés et la guitare est devenue très populaire chez les Touaregs, remplaçant peu à peu l’inzad (violon monocorde joué essentiellement assis par les femmes), préservant une culture traditionnelle orale en l’ancrant profondément dans le présent. Les percussions sont jouées par les femmes sur le tambour tindé, accompagnés de battements des mains.
    La sortie de leur album “Amassakoul” distribué en Europe en 2004, leur a valu un grand succès en France. Depuis cette date, ils ont sorti trois autres album dont un comprenant des enregistrements effectués en 2000, “The Radio Tisdas Sessions”, réédité en 2005 et qui avait comme producteurs outre Lo’Jo, Justin Adams qui est entre autre le guitariste de Robert Plant.
    Leur dernier album en date, “Imidiwan Companions” 1CD plus 1 DVD installe le groupe comme le leader et le représentant le plus connu de ce courant de la musique des Kel Tamashek.
    Il convient de noter que le groupe a évolué en terme de line up au fil des années, certains membres fondateurs, se refusant à quitter leur région, ne participent qu’aux enregistrements. Cette particularité n’est pas spécifique à Tinariwen, mais semble une constante parmi ces musicien(ne)s qui ne visent pas tous à devenir des professionnels absorbé(e)s par le monde occidental. Ils peuvent participer à d’autres projets musicaux ou fonder un nouveau groupe sans que cela perturbe l’ensemble. Cette notion de groupe (ou d’ensemble) plus ou moins large est une constante qui se vérifie encore aujourd’hui avec l’apparition d’une nouvelle génération de musiciens du désert.

    D’autres groupes ou individus sont tout aussi recommandables. Ainsi, Toumast (le peuple, la nation en Tamashek) autour de Moussa Ag Keyna, combattant guitariste des années de lutte dans le maquis, qui s’est retrouvé en France pour soigner des blessures infligées durant les combats des années 90. Rejoint par Aminatou Goumar et dans l’impossibilité de retourner au combat, ils ont développé une musique issue du traditionnel, empreinte de la nostalgie de la vie nomade, du désir de partager leurs espoirs. Leur musique peut évoluer de par l’origine des autres membres du groupe (souvent français). Ainsi, après un premier album “Ishumar” qui assume leur passé combattant Toumast dans son second album “Amachal” paru fin 2009, évolue aussi par la volonté de Moussa et Aminatou de suivre leur propre chemin musical. Ils ne craignent pas de revisiter, par exemple, sur leur dernier opus, Jimi Hendrix sur “You Got Me Floating”.

    TInariwen comme locomotive du mouvement, Tartit pour la place des femmes dans la société touarègue, Toumast avec son duo leader sont les représentants les plus emblématiques de ce courant musical que nous avons l’occasion de voir plus ou moins régulièrement en France.

    Mais ce ne sont que la partie la plus visible de ce mouvement qui ne cesse de se développer dans les différents pays sur lesquels vivent les Tamasheks.
    Des compilations sont sorties ces dernières années dont la plus intéressante car présentant l’arc le plus large des musiciens touaregs, est “Ishumar Musique touarègue de résistance” sorti en 2008. Accompagnée d’un livret explicatif, cette compilation est une bonne approche pour le néophyte de ce courant musical.
    Déjà cité, “Désert Rebel” comprend un CD, à l’initiative de musiciens vivant en France (Amazigh Kateb de Gnawa Diffusion, Guizmo de Tryo, Daniel Jamet de Mano Negra,…), permet d’entendre Abdallah Oumbadougou sur 6 titres plus un certain nombre de remix et de prises live (en France).
    Cet album est accompagné d’un DVD de François Bergeron, “Les rockers oubliés du désert”. Cinéaste ayant réalisé de nombreux documentaires musicaux dont le film n’a pas plu au gouvernement nigérien qui, lors d’un second séjour de ce cinéaste l’a contraint à rester au pays (plus précisément à la gendarmerie de Niamey) pendant plus d’un mois. C’est la pression des médias internationaux qui a contraint le gouvernement nigérien à sa libération.

    Une nouvelle génération de musicien plus jeunes, n’ayant pas forcément connus les luttes armées des années 90, vivant encore pour la plupart sur place et n’ayant pas forcément la possibilité de se produire en Europe (les visas sont accordés avec de plus en plus de difficultés), s’est développée ces dernières années. Nous aborderons ces groupes dans un deuxième article à venir.

    Pour vous faire patienter et si cette musique vous intéresse, vous pouvez vous rendre sur le site des musiques touarègues Tamasheq.net avec le lien suivant
    http://www.tamasheq.net
    Sur ce site, vous trouverez le lien pour télécharger le podcast mensuel de l’émission Imidiwan faisant le point sur l’actualité des musiques du Sahara.

    Pour plus d’info sur la situation sociale et économique du peuple touareg, tapez touaregs (au pluriel pour ne pas tomber sur le véhicule d’un célèbre constructeur) et vous trouverez plusieurs sites qui ont servi de base à la rédaction de cet article.

    Serge Sabatié

    http://www.docteurblues.com

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