• La démocratie est-elle dangereuse dans une société multiethnique ?

    Interview avec Frances Stewart, professeur d'économie de développement à l'Université d'Oxford

    OXFORD, 5 juil (IPS)

    Le Centre pour la recherche sur l'inégalité, la sécurité humaine et l'ethnicité (CRISE) semblerait avoir du pain sur la planche dans un monde tourmenté par des conflits brutaux et persistants. L'objectif du centre est d'étudier les relations entre l'ethnicité, l'inégalité et le conflit en vue d'identifier les politiques qui pourraient conduire à des sociétés multiethniques plus inclusives.

    Une première publication de la longueur d'un livre, 'Des inégalités horizontales et le conflit : Comprendre les violences de groupe dans des sociétés multiethniques', réalisée par CRISE est destinée à une parution de juillet, le fruit des récentes années de recherche de l'institution sur les conflits et leurs causes.

    Pour en savoir plus sur cette recherche, le correspondant de IPS, Michael Deibert, a eu un entretien avec le directeur de CRISE, Frances Stewart.

    IPS : Pouvez-vous expliquer le concept d'inégalités horizontales?

    Frances Stewart (FS) : Les inégalités horizontales placent des gens dans des groupes et observent comment ces groupes sont inégaux.

    Par exemple, les Noirs et les Blancs aux Etats-Unis, ou des groupes ethniques tels que les Tutsi et les Hutu au Rwanda, des groupes religieux tels que les musulmans et les chrétiens dans plusieurs pays. Essentiellement, ces groupes constituent les manières dont les gens se voient, les manières qui sont très importantes aux gens.

    Par conséquent, s'il y a de grandes inégalités entre les groupes, par exemple entre les musulmans et les chrétiens dans un pays comme le Nigeria, ceci peut être très puissant politiquement parce que des gens se mobilisent derrière. Cette mobilisation peut parfois prendre une forme politique pacifique, mais elle peut parfois prendre une forme violente.

    L'autre élément à faire remarquer sur les inégalités horizontales est qu'elles sont multidimensionnelles... Ceci devrait être vrai pour toutes les mesures d'inégalité, mais la plupart des mesures d'inégalité se limitent au revenu, ou peut-être à la consommation.

    Les inégalités horizontales ont des dimensions politique, économique, sociale et culturelle... Des inégalités dans le pouvoir politique, lesquelles sont très importantes, où un groupe peut avoir une dominance totale du système politique, et un autre groupe n'a aucun accès, ce qui est plus ou moins la situation au Sri Lanka.

    Ensuite, vous avez des inégalités dans le statut religieux et culturel, ainsi un groupe peut avoir sa religion ou sa langue reconnue et celle d'un autre groupe peut ne pas être reconnue. Alors, bien entendu, il y a les différences économiques évidentes dans les terres et les biens, et il existe des différences à l'accès social, à l'éducation et ainsi de suite.

    Donc, essentiellement, les inégalités horizontales sont des inégalités entre les groupes culturellement définis, et elles sont multidimensionnelles.

    IPS : Le livre couvre une étendue géographique relativement large -- de l'Asie en Afrique et en Amérique latine -- et je me demandais quelles étaient certaines des similarités qui étaient trouvées et qui existaient dans les situations de ces régions?

    FS : Il y a évidemment des différences dans la manière dont les gens se considèrent. Par exemple, en Afrique, nous avons des groupes ethniques, parfois appelés tribus, étant une différence très importante parmi les gens, et de même que la religion. De façon captivante, l'Indonésie est très semblable de ce point de vue au Nigeria, qui a également plusieurs ethnies et, en plus, a le fossé religieux entre les musulmans et les chrétiens.

    Mais par contraste, si nous pensons à l'Amérique latine, dans les pays que nous observons, la grande différence se situe entre les autochtones et les colons blancs, et bien sûr la grande population mixte.

    Ceci est plutôt différent des divisions ethniques que vous trouvez en Afrique, bien qu'au sein des communautés indigènes elles-mêmes, il y ait un certain nombre de groupes avec des langues différentes et autres.

    Ensuite, si nous nous tournons vers la Malaisie, qui est un autre pays que nous examinions, le fossé racial est le grand fossé : des Chinois, des Malaisiens autochtones et ensuite des Indiens et aussi une différence religieuse...

    Dans chaque cas, ces inégalités horizontales sont très importantes, ne sont pas toujours reconnues pour être aussi importantes qu'elles le sont. Elles sont plus explicites dans certaines régions que dans d'autres.

    IPS : Il semble que le taux des conflits dans les pays pauvres demeure élevé. Est-ce une évaluation juste?

    FS : C'est certainement juste. C'est certainement vrai que le taux des conflits à l'intérieur des pays -- des guerres civiles -- est beaucoup plus élevé dans les pays pauvres que dans les pays à revenu intermédiaire ou pays riches.

    Cependant, nous devrions noter qu'il a récemment diminué. Il est plutôt monté brusquement lorsque la Guerre froide a pris fin, mais récemment, il y a eu une certaine baisse. Mais, il demeure vraiment un problème majeur. Probablement, la majorité des pays très pauvres ont connu une sorte de conflit au cours du dernier quart de siècle.

    IPS : La percée que nous avons vue dans les conflits après la Guerre froide semble-t-elle maintenant être stable?

    FS : Il y a sûrement eu de réduction, et les gens en ont plusieurs explications. En partie, il y avait une explosion après la Guerre froide parce qu'il y avait une transition, les gens réglaient justement le problème de la manière dont ils voulaient vivre et avec qui et ainsi de suite... Il y avait eu des conflits avant, mais ils avaient été réduits par les Russes, en particulier...

    Pourquoi ont-ils baissé? D'aucuns diraient que l'intervention active de la communauté internationale, et des Nations Unies en particulier, a été relativement importante, mais évidemment, non pas eux tous.

    En Afghanistan, la guerre fait rage, la guerre fait rage en Irak, des guerres très graves se poursuivent toujours... La guerre du Congo n'est pas en réalité terminée, il y a des conflits en cours au Niger. Mais je pense que le niveau est un peu moins que ce qu'il était, il y a dix ans.

    IPS : Après avoir passé en revue cette recherche, quelles mesures peuvent être prises par les gouvernements et les institutions internationales pour régler les inégalités et prévenir les conflits dans l'avenir?

    FS : Cette question a été beaucoup négligée par la communauté internationale. Si vous observez les politiques normales que nous préconisons, telles que la démocratie, dire que des pays doivent être démocratiques et qu'ils doivent avoir plusieurs partis, nous ne pensons pas aux conséquences entre les groupes.

    La démocratie peut conduire à une situation plutôt dangereuse dans une société multiethnique, à moins que vous l'accompagniez avec des politiques pour protéger les groupes. Si vous avez un groupe qui est majoritaire, il peut réellement supprimer les libertés d'un groupe minoritaire.

    Sur le plan politique, ce que cela exige est la reconnaissance de l'importance de répartir le pouvoir à travers les groupes et non d'avoir un pouvoir exclusif.

    Cela signifie toute sorte de contrainte sur le système démocratique. Certaines de ces contraintes sont déjà en place dans certains pays. Cela pourrait signifier que les partis politiques ne peuvent pas être mono-ethniques et établis seulement dans une partie du pays... Il y a des restrictions de cette sorte sur les partis politiques au Ghana et au Nigeria, pour essayer de susciter des partis politiques multiethniques. Il y a une grande tendance dans des pays multiethniques pour que les partis politiques deviennent des partis mono-ethniques.

    Vous pouvez également avoir des restrictions sur le système politique à plusieurs niveaux afin que vous puissiez avoir une représentation des différents groupes à toutes sortes de postes politiques importants. Parfois, ces restrictions peuvent être formelles, tel qu'au Nigeria, ou elles peuvent être informelles... Ce dont on a besoin est une reconnaissance sur le plan politique de la nécessité d'incorporer tous les principaux groupes au pouvoir politique et ensuite, une multitude de manières dont on pourrait le faire.

    Sur le plan économique, le problème a été également beaucoup négligé dans l'arène internationale. La plupart des politiques de la Banque mondiale, par exemple, -- des politiques d'ajustement macroéconomiques, des documents stratégiques -- ignorent simplement la question...

    Ce dont vous avez besoin est une reconnaissance explicite que vous avez besoin d'une juste répartition des ressources économiques et sociales. Vous devez avoir des systèmes pour la surveiller... Incorporer cela dans un certain nombre de politiques économiques, par exemple, des politiques de dépenses, des politiques fiscales, des politiques d'emplois du gouvernement et autres.

    Bien que les organismes internationaux aient négligé ceci, les décideurs nationaux dans les sociétés multiethniques le reconnaissent souvent parce qu'ils doivent vivre avec les conséquences...

    Nous n'avions pas à inventer des politiques nouvelles, nous pourrions simplement regarder autour des pays qui les avaient mises en œuvre. (FIN/2008)

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