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L’Imzad, un art et un héritage préservé par la femme
L’héritage artistique targui dans la région du Tassili N’Ajjer a été depuis longtemps entretenu d’une génération à l’autre par la femme joueuse de l’Imzad, instrument de musique ancestral. L’imzad est aussi lié au statut de la femme, qui revêt une « importance particulière » chez les Touaregs, estime Abdennebi Zendri de l’Université de Tamanrasset.
« Si le statut de la femme est dévalorisé et déprécié, l’Imzad et la culture targuie en accuseront les contrecoups qui mettront leur existence en péril », explique ce sociologue, qui pense que « si ce statut change, cela aura des répercussions sur la culture touarègue, dont l’Imzad, le Tindi et tous les thèmes chantés jusqu’ici ».
L’universitaire ne manque pas de rappeler que la femme « est le principal acteur de la sauvegarde du patrimoine immatériel des targuis et reste au cœur de la transmission de l’héritage culturel aux générations futures ».
Tout en prévenant contre les changements d’attitude dans la société targuie, à caractère matriarcal, M. Zendri affirme qu’ »en dehors des centres urbains, la femme a toujours gardé toute sa stature et sa position et est à l’origine de toutes les activités artistiques et festives tout en continuant d’être maîtresse chez elle ». « L’Imzad a toujours été conçu par les femmes qui ont depuis les temps les plus reculés fabriqué les instruments de musique. C’est leur spécialité », ajoute ce spécialiste. Le jeu de l’Imzad est, selon M. Zendri, un cérémonial sur la stature sociale, sur la guerre et la paix, sur la fête et les funérailles.
L’Imzad est « encadré » par une présence masculine dans la déclamation de la poésie. « Mais, attention, cette lecture poétique n’est pas l’apanage de n’importe qui car la femme veille à ce que les textes dits ne soient pas déviés de leur sens et qu’ils restent fidèles à la thématique originelle », averti ce sociologue.
De son côté, la joueuse Terza Daoudi, 82 ans, a fait part d’un projet d’ouverture d’une école de l’Imzad « dans les prochains jours » à Illizi. « La relève, dit-elle, doit impérativement se faire, sans quoi c’est toute une facette de notre patrimoine qui se dissoudra dans l’oubli ». Actuellement, malgré son âge, elle enseigne cet art à une douzaine de filles chez elle, en parallèle à des ateliers d’apprentissage de l’Imzad pour les jeunes filles à Bordj El Haoues, par Brahim Belkheir et celle de Djanet de la doyenne défunte Terzagh Benomar. Cette artiste de talent « a de tout temps été pour nous une grande référence, car maniant l’instrument Imzad avec amour et art, mais aussi une ambassadrice de la musique et de la chanson targuie de la région du Tassili N’Ajjer », a souligné Terza Daoudi. « A travers son art, cette grande dame a su donner des lettres de noblesse à cette musique et lui conférer une notoriété universelle par sa valeur réelle, qui se traduit à travers ses textes évoquant l’histoire contemporaine et le quotidien, les traditions et la modernité ainsi que les joies et les peines », a-t-elle ajouté.
Comme tous les grands maîtres, les musiciennes Terzagh Benomar et Sounna Daoudi ont su faire naître de nombreuses vocations parmi les jeunes filles des villes de Djanet et d’Illizi. Selon la joueuse Aoussali Tata, « la région du Tassili N’Ajjer, et en particulier l’association de la Sebeiba, ont perdu de grandes joueuses de l’Imzad ». « Cette perte, dit-elle, a été ressentie lors des grandes manifestations culturelles et artistiques organisées à travers la wilaya ».
Autrefois, se rappelle Terza Daoudi d’Illizi, une amie de la défunte Benomar Terzagh de Djanet, « une femme sur deux savait jouer de l’Imzad alors qu’aujourd’hui seules cinq femmes affirment maîtriser cet art, des personnes âgées recensées sur l’ensemble du Tassili des n’Ajjer et du Hoggar ». « La probabilité de découvrir de nouveaux artistes-femmes de l’envergure de Terzagh Benomar, reste très faible », a-t-elle estimé.
Ce recensement a pris forme, a-t-on expliqué, « afin de redonner vie et longévité à cette culture transmise par la femme, mais aussi et surtout afin de donner davantage de crédit et de valeur à cette dame au sein de son groupe ethnique et de sa propre culture, tout en lui conférant le rôle réel qui est le sien ».
L’objectif primordial de l’association « Imzad-tindi » de Brahim Belkheir de la région de Bordj El Haouès est de participer à la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel du Tassili n’Ajjer, qui remonte à des milliers d’années, en militant pour la préservation de l’authenticité de l’Imzad et du Tindi, en tant qu’expressions culturelles et identitaires.
Revenant sur le risque de disparition de l’Imzad, le sociologue Abdennebi Zendri fait état de »l’existence de beaucoup d’airs dont on connaît les intitulés, mais dont les contenus musicaux sont perdus ». « Ils ont disparu avec celles qui les exécutaient, qui les jouaient. Il n’y a plus de femmes qui savent les jouer, et très peu d’entre-elles, aujourd’hui, connaissent l’ensemble (une quarantaine pour le Tassili et le Hoggar) de ces airs », a-t-il précisé. Aucune des femmes encore en vie n’est en mesure de les jouer tous, a-t-il confié, en affirmant avoir relevé une dizaine chez une femme, une trentaine chez une autre etc.
Durant toute la longue période consacrée à la collecte, il reconnaît n’avoir rencontré qu’une seule femme, d’un certain âge, qui connaissait 31 de ces airs et qui a pu les jouer. « Aucune ne connaissait l’ensemble du répertoire de l’Imzad ». « Ce qui signifie que chaque femme joueuse, qui meurt, emporte avec elle les airs qu’elle connaissait. Et, à chaque disparition, c’est donc un pan de l’Imzad qui disparaît en même temps que celle qui l’exécutait, qui le jouait », fait-il remarquer.
APS
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