• L'Afrique à l'heure chinoise

    L'Afrique à l'heure chinoise
    Pékin investit massivement au sud du Sahara.
    Arnaud Leveau, le 07-08-2008

    D'abord discrète, la présence chinoise se fait envahissante. Son développement continu bouscule les intérêts français.
    Dans le salon privé d'un restaurant de Hongkong, M.Wang savoure ses dimsum, entouré d'"amis" africains : « Les affaires sont bonnes, j'ai invité mes partenaires à venir visiter mon usine en Chine. C'est important d'entretenir l'amitié ». Abibou Camara, un invité, prend la parole : « Les Chinois sont nos principaux partenaires. Leur demande ne cesse d'augmenter et je vais devoir agrandir mes installations. »
    M. Camara dirige une usine de conditionnement de coton à Bamako. L'essentiel de sa production est vendu à des Chinois. À eux seuls, le Mali, le Burkina Faso et le Bénin fournissent déjà 20 % des achats chinois de coton africain. C'est encore peu sur l'ensemble des importations chinoises (3% viennent d'Afrique et les deux tiers d'Asie), mais la hausse est constante. « La demande devrait rester élevée pour les quinze prochaines années, souligne Tamara Trinh, du centre de recherche de la Deutsche Bank. Les importations chinoises en provenance d'Afrique et d'Amérique latine sont en très forte progression, comme les investissements chinois dans ces deux régions du monde. » Une partie de la croissance africaine de 4,5 % est due à la demande chinoise en pétrole et autres matières premières.

    Les échanges entre la Chine et l'Afrique se sont accélérés à la fin des années 1990. Ils ont atteint plus de 39 milliards d'euros en 2006, contre moins de 8 milliards en 2000. Depuis 2005, la Chine est le troisième partenaire commercial de l'Afrique, après les États-Unis et la France. Elle est le premier fournisseur de l'Afrique subsaharienne (plus de 10 % du marché) mais la France reste première dans les pays de la zone franc.

    L'Afrique n'attire encore que 2% des investissements chinois à l'étranger. Les Chinois préfèrent toujours investir en Asie (73 % du total).Pour Pékin, l'Afrique est pour l'instant un déversoir pour ses produits de faible technologie. Cinq pays concentrent plus de 80 % de ces exportations : Angola, Afrique du Sud,Soudan,Guinée équatoriale, République du Congo. À l'exception du coton, en provenance des pays du golfe de Guinée, le pétrole et les métaux représentent l'essentiel de ce que l'Afrique vend à la Chine.


    L'Angola est son premier fournisseur de pétrole,devant l'Arabie Saoudite (le Soudan est au sixième rang et le Congo au neuvième). L'Afrique du Sud (5% du total des importations chinoises) est son quatrième fournisseur de minerai de fer.Près de 37 % des importations chinoises de manganèse proviennent du Gabon, de l'Afrique du Sud et du Ghana. Les deux Congo et l'Afrique du Sud assurent à eux seuls près de 85 % des importations chinoises de cobalt.« Les Chinois sont très agressifs, surtout au Nigeria, souligne Ratanaporn Dammakosol, directrice de la chambre de commerce Thai- Ghana. Ils laissent peu de places aux autres Asiatiques. »

    Les intérêts français souffrent de cette avancée chinoise, même si les entreprises de notre pays ont tendance à se replacer sur des secteurs à plus forte valeur ajoutée. En Angola et au Nigeria, de nouvelles concessions pétrolières ont été attribuées à des sociétés chinoises,surtout au détriment d'opérateurs européens, comme en Côte d'Ivoire,où la China Petroleum and Chemical Corporation, associée à l'Américain Vanco Energy, va mettre en valeur de nouveaux gisements.

    Notre approvisionnement en pétrole n'est pas compromis, car l'Afrique subsaharienne ne contribue que pour 8,4% aux importations françaises,mais cet activisme a des effets directs sur l'uranium qui vient majoritairement d'Afrique, avec le Niger qui fournit 20 % des importations françaises. Les Chinois, comme les Indiens, s'intéressent de plus en plus à ces gisements.

    « La concurrence chinoise se fait beaucoup ressentir dans le BTP, affirme un entrepreneur français installé en Algérie. Les Chinois remportent maintenant la presque totalité des grands marchés de construction civile. » Leurs entreprises se renforcent grâce aux faibles salaires de leurs cadres et ouvriers expatriés, à leur rapidité d'exécution, pas toujours une garantie de qualité.

    Sur le plan politique aussi, les choses évoluent. Le président Hu Jintao, le premier ministre ou le ministre des Affaires étrangères sont allés plusieurs fois en Afrique. Tous les pays entretenant des relations diplomatiques avec Pékin ont été visités. En novembre 2007, un sommet Chine-Afrique a réuni à Pékin quarante-huit chefs d'État et de gouvernement africains. « La ville était pavoisée de panneaux en français, s'amuse M.Wang. Pour mes affaires, j'ai dû me mettre au français. »

    La France ne prend pas encore ombrage de cette concurrence. Jacques Chirac estimait cette présence bénéfique pour développer un continent à la dérive : « L'Afrique a besoin d'avoir des relations avec l'ensemble du monde [...]. Je le répète, je me réjouis de ce nouveau lien qui se crée entre l'Afrique et la Chine. » Il est vrai que la Chine apporte une aide matérielle et logistique que ne peuvent plus fournir les pays européens, avec des matériels rudimentaires, mais solides et fiables. Il est difficile de chiffrer le montant de l'aide publique chinoise à l'Afrique subsaharienne. L'Agence française du développement l'évalue de 1,5 à 1,8 milliard d'euros.La tendance montre que la Chine devrait devenir le premier bailleur de fonds bilatéral de la région avant la fin de cette décennie.

    Cette omniprésence économique et politique est dissociée de la présence militaire.La Chine participe peu aux missions de maintien de la paix, avec 1 300 soldats au Liberia, au Soudan, au Congo démocratique. « Elle traite les pays africains comme de vrais partenaires,sans donner de leçons et sans rien exiger en retour,bien au contraire, elle aurait tout à y perdre », explique Eric Sautedé,rédacteur en chef de Chinese Cross Currents à Macao.

    C'est vrai à court terme. Mais des questions se posent. « Laisser se développer la corruption et l'instabilité politique là où la Chine investit ne peut à terme que se retourner contre elle », estime Eric Sautedé.Le cas du Soudan est exemplaire : Pékin soutient sans états d'âme ce régime islamiste dont le président est accusé de crimes contre l'humanité au Darfour.

    En privilégiant certains groupes d'intérêts privés, la Chine empêche le renforcement des États et peut encourager la mauvaise gouvernance. Les Chinois le disent : la démocratisation de l'Afrique n'est pas leur priorité. «Mais a-t-elle été la priorité des Français ? », s'interroge M.Wang dans un éclat de rire.

    Source:valeursactuelles.com

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