• Culture-Débats: A bâtons rompus avec l’anthropologue Dida Badi

    Le Grand Sud des grands changements

    Ici, nous abordons avec l'anthropologue Dida Badi quelques-uns des faits les plus significatifs intervenus dans le monde touareg depuis l'accession du pays à l'indépendance. Sans crier gare, le 4X4 est en passe de définitivement remplacer les anciennes caravanes traditionnelles. Ce qui, assurément, n'est pas peu dire.

    Les mutations d’envergure et à l’ampleur plus que significative  qui s’opèrent au cœur même du monde touareg ne sont nulle part ailleurs plus expressives que lorsque l’on prend en considération le cas de ceux établis en territoire algérien et qui en sont donc considérés comme des citoyens à part entière et qui y jouissent des mêmes droits et mêmes devoirs que l’ensemble des autres citoyens, quel que soit leur lieu d’établissement et de domiciliation. Voici de façon non exhaustive ce que nous en dit le chercheur et anthropologue Dida Badi : «Contrairement à ce que nous avons pu constater concernant les générations qui ont dominé la scène publique durant la décennie soixante notamment, et par conséquent par trop liées, bon gré mal gré avec ce que l’on peut appeler l’idéologie coloniale quand ce n’est pas la propagande coloniale pure et simple, chez les nouvelles générations, les revendications et attentes sont d’un tout autre ordre. De fait, ces dernières se définissent, même si les liens avec les autres groupes sont toujours d’actualité et présents, d’abord et avant tout par rapport au territoire sur lequel elles sont nées. La question de la nationalité et donc de l’appartenance à un état-nation donné ne se pose plus pour ces générations dont on peut situer l’émergence au milieu des années quatre-vingts du siècle passé. L’on n’y parle pratiquement plus des anciennes thèses coloniales de l’éventuelle création d’un grand état touareg qui rassemblerait la totalité des différents groupes établis dans la zone sahélo-saharienne. Mieux encore, ces nouvelles générations n’ont pour seules attentes que la nécessité pour elles de pouvoir bénéficier des mêmes avantages et des mêmes dispositions par ailleurs consacrés, pour ce qui nous concerne, par les différents programmes spéciaux grand sud. Revendications citoyennes par excellence et définition et qui ne trouvent pas meilleure argumentation que dans deux faits essentiels : primo, le fait que la sédentarisation soit, pour ainsi dire, et désormais, définitivement consacrée dans les esprits et les comportements. Ceci entraînant une toujours plus grande demande d’intégration au sein du corps social algérien. Rien n’explicite mieux ces nouvelles attitudes, disons le mot, culturelles, que la formidable expansion du mouvement associatif dans une ville comme Tamanrasset. De fait, l’on comptabilise pour l’heure et agissant dans pratiquement tous les domaines plus d’une centaine d’associations regroupant essentiellement des jeunes, garçons et filles, pour l’immense majorité d’entre eux scolarisés, et qui se vouent à l’émancipation et à la sensibilisation de thèmes et sujets qui, indépendamment des spécificités de la région, aux mêmes préoccupations que celles que l’on peut rencontrer chez les autres jeunes du pays Algérie. Les préoccupations ont pour nom, travail, développement, logement, éducation, loisirs, culture. Bien loin donc ce temps de troubles récurrents exécutés le plus souvent par le biais et à l’instigation des nostalgiques de l’époque coloniale. Deux chiffres peuvent à eux seuls illustrer cette nouvelle situation : si au début des années cinquante l’on comptait deux mille âmes pour la ville de Tamanrasset, l’on estime aujourd’hui à quelques deux cent mille personnes la totalité de la population recensée. «Il s’agit maintenant, poursuit notre interlocuteur, de concilier et de prendre en considération le principe de préservation et de protection du patrimoine immatériel, non seulement de la région mais de la totalité du Sahara, avec ce fait résolument nouveau et qui veut que chez les Touaregs le véhicule tout-terrain, le 4X4, soit en passe de définitivement remplacer les traditionnelles et immémoriales caravanes. La mutation est ici de taille. Autre exemple de ce grand chambardement du paysage traditionnelle, le fait que de nos jours l’imzad  puisse être joué, sans que cela n’entraîne de trop vives réactions de puristes, lors de soirées conçues de la façon la plus moderne qui soit et non plus ainsi que cela se faisait auparavant, c’est-à-dire dans le courant de ahal ou tindi strictement structurés et définis dans et par la société touarègue ancestrale. Les instruments de musique eux aussi ont subi l’influence du changement puisque nous rencontrons couramment des instruments électriques ou divers autres instruments qui ne font pas partie du patrimoine traditionnel des populations concernées.» Ces quelques aspects du changement n’étant pas du tout exhaustifs et n’ayant été cités que pour mieux rendre compte d’une situation absolument nouvelle.

    Par Malik-Amestan  B.

     


     Au temps des écoles nomades

    Tikatoutin, de Marceau Gast

    Ce précieux livre-témoignage, mais aussi document scientifique, reprend pour l‘essentiel ce que l’ethnologue Marceau Gast a vécu parmi les nomades touaregs durant trois années, de 1951 à 1954, et ensuite dans la ville de Tamanrasset, de 1955 à fin 1956. Voici comment Gast lui-même présente son livre récemment réédité par le Centre national d’études anthropologiques, préhistoriques et archéologique d’Alger : «Un devoir de mémoire m’a tracassé au moment du bilan d’une longue vie d’espoirs et de désillusions, de réussites et d’échecs dans un monde constamment remis en question, en gésine à l’échelle de la planète. Mon expérience de nomade parmi les nomades m’a révélé toute la relativité de notre vie dite  «moderne».

    Car devoir imaginer et réaliser tous les jours les moyens de sa survie avec un seul troupeau d’animaux et les quelques ustensiles indispensables sous une tente, nous débarrasse tout d’un coup l’âme et l’esprit de cette véritable armure dont nous pare notre société occidentale.  «Directeur de recherche honoraire au  CNRS, Marceau Gast a été chercheur au CRAPE, l’ex-centre de recherches anthropologiques, préhistoriques et ethnologique, l’actuel CNRPAH, ici même à Alger, de 1960 à 1969.

    Il y a durant cette décennie, dirigé des équipes de recherche en ethnologie saharienne et conduit un certain nombre de missions de terrain. Le livre dont nous brossons brièvement les pourtours ici n’est rien d’autre que la mémoire qu’il aura gardée des trois années d’instituteur nomade dans divers campements touaregs de l’époque considérée.

    Dans le contexte colonial de l’époque considérée, l’arrivée d’un tel personnage attire d’abord la méfiance des autorités françaises en place qui voient d’un mauvais œil le pourquoi d’une telle vocation et d’un tel désir de prendre ses distances d’avec le monde réputé civilisé. Mais tout finit par s’arranger et il va très vite se retrouver à Tin Zawatin, baignant dans un milieu et une culture dont il ignorait pratiquement tout jusque-là. L’expérience ne durera pas très longtemps, du fait essentiellement de l’extrême mobilité des touaregs de ce campement.

    Il ajoute : «La richesse que nous avons acquise en traversant plusieurs cultures, plusieurs langues, nous a dotés d’un capital émotionnel, d’une capacité à mieux comprendre l’autre et ses différences, d’acquérir aussi la tolérance désormais indispensable dans nos sociétés métisses d’aujourd’hui.» Précurseur du principe anthropologique qui veut que rien ne peut remplacer le travail de terrain, Marceau Gast a aussi été un témoin de premier plan dans un contexte particulièrement trouble et troublé : celui de la période précédant le déclenchement de la lutte anticoloniale. Avant de faire parler tous ces jeunes élèves touaregs dans une langue qui n’était pas la leur, il va commencer par essayer de communiquer avec eux par le dessin.  Les méthodes pédagogiques qu’il va initier et développer sont uniques et permettront par la suite à toute une génération de pédagogues de revoir leur copie en matière de transmission de connaissance et de didactisme.

    Les témoignages laissés par Marceau Gast valent leur pesant d’or tant ils fourmillent de mille et un petits détails ayant trait aussi bien aux coutumes qu’à la vie quotidienne, et ont ouvert la voie à de nouvelles pistes de recherches sur des domaines jusque-là considérés sinon comme insignifiants et peu porteurs de sens, du moins comme mineurs.

    Le livre est en tout cas un outil et une aide indispensable pour quiconque veut se rapprocher d’un mode de vie difficile, mais ô combien unique et original, d’autant pour nous tous, prisonniers d’une citadinisation forcée qui ne nous apporte plus grand-chose si ce n’est son ennui et son mal-être.

    M-A. B.

    www.lesdebats.com 

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