• Courrier International - Niger:La rébellion touarègue multiplie les fronts

    Courrier International - Niger:La rébellion touarègue multiplie les fronts
    La guérilla du Mouvement des Nigériens pour la justice, qui avait d'abord sévi dans la zone d'Agadez, est active dans toutes les régions du pays. L'armée, elle, est accusée de commettre des exactions contre les populations civiles.

    DE NIAMEY
    Que font exactement les militaires dans la région d'Agadez ?" Cette question revient comme une litanie chaque fois que le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ) sort de sa base du mont Tamgak pour frapper. Une interrogation que les populations jugent d'autant plus légitime que les casernes militaires des autres régions du pays ont été progressivement dégarnies au profit de celles d'Agadez, théâtre du conflit qui oppose depuis février 2007 pouvoir central et rébellion. Ayant opté dès le début pour la guerre contre ceux qu'il qualifie de "trafiquants d'armes et de drogue", le président du Niger, Mamadou Tandja, a signé, en août 2007, un décret de "mise en garde" de trois mois dans la région d'Agadez, qui dote les éléments des forces de défense et de sécurité de pouvoirs exceptionnels "en vue d'accomplir leur mission sans entraves".
    Le renforcement du dispositif militaire de la région (en moyens humains et matériels) qui a suivi cet acte a laissé croire que les jours du MNJ étaient désormais comptés. Selon une source militaire, ce déploiement exceptionnel de troupes dans la zone (on parle d'environ 4 000 hommes supplémentaires) avait pour but de déloger de leur "trou" les membres du MNJ pour les mettre définitivement hors d'état de nuire. Depuis, la "mise en garde" a été renouvelée, les trois mois n'ayant pas suffi à l'armée pour venir à bout du MNJ. Au contraire, c'est même ce dernier qui donne du fil à retordre aux autorités politiques et à l'armée, en multipliant ses attaques depuis pratiquement le mois de novembre 2007, en délocalisant "le conflit, qui n'épargne plus désormais aucune région du pays" - comme l'a reconnu, le 22 mars dernier, devant le Parlement le ministre d'Etat chargé de l'Intérieur et de la Décentralisation, Albadé Abouba. Le ministre, qui répondait à une interpellation des députés sur la situation sécuritaire en compagnie de son homologue de la Défense nationale, Djida Hamadou, a promis que la paix serait très bientôt de retour dans le pays, excluant toutefois l'option d'une quelconque négociation avec le mouvement rebelle. Pour restaurer rapidement cette paix, il a indiqué que des dispositions sont en train d'être prises par le gouvernement, avec le concours de certains partenaires dont il s'est toutefois abstenu de citer les noms.
    ce conflit armé dure depuis plus d'un an
    Il faut dire que, près de dix mois après sa signature, le décret de "mise en garde" est loin d'apporter les résultats escomptés. Bien au contraire, serait-on tenté de dire. Entre no vembre 2007 et mars 2008, les rebelles ont mené diverses attaques, dont les plus marquantes ont été celles contre la ville de Tanout (dans la région de Zinder), le 21 janvier 2008, et contre la localité de Bani-Bangou, à environ 140 km de Niamey, le 18 mars dernier. Ces deux offensives se sont soldées par plusieurs morts et par des enlèvements dans les rangs de l'armée, et une importante quantité de matériel militaire a été emportée par les assaillants. Elles ont fini par con vaincre l'opinion qu'aucune région du pays n'est désormais à l'abri du conflit. Et, comme pour montrer qu'il dispose toujours d'une capacité de manœuvre et de nuisance dans la région d'Agadez, le MNJ a attaqué, dans la nuit du 29 au 30 mars, la localité de Gougaram, à côté de la ville uranifère d'Arlit. Cette attaque a fait dix morts dans les rangs des forces loyalistes, selon les rebelles, qui disent avoir également emporté du matériel et des documents militaires. Quant à l'armée, qui parle d'"opérations visant la destruction des bases et des repaires des bandits armés", elle ne déplore que cinq morts dans ses rangs, dont trois par accident de mines, et six blessés.
    A l'évidence, l'option militaire défendue et mise en œuvre par les autorités politiques tarde à ramener la paix dans le pays. "Nous nous sommes installés dans une impasse qui tend vers un pourrissement, lequel pourrissement favorise l'action des rebelles", déplore Djibo Hamani, enseignant chercheur à l'université de Niamey, à l'occasion d'une table ronde sur le conflit organisée récemment par des acteurs de la société civile nigérienne. Et d'expliquer : "Plus le rayon d'action de la rébellion prend de l'amplitude, plus grands seront les dégâts humains et matériels, plus lourde sera la facture des dépenses militaires, plus fréquentes seront les bavures et plus profondes les blessures à panser. Il faut savoir réduire une rébellion très tôt et, si on n'a pas les moyens de le faire, négocier et tirer les leçons de cette faiblesse du moment pour préparer un avenir moins incertain."
    En effet, ce conflit armé, qui dure depuis plus d'un an sans que l'option militaire parvienne à y mettre fin, n'est pas sans conséquences sur la vie des populations civiles, exposées à toutes sortes d'abus.
    Plusieurs dizaines d'habitants de la région, soupçonnés d'être de connivence avec le mouvement, croupissent actuellement dans les prisons du pays, sans jugement. D'autres, selon plusieurs informations, auraient été sommairement exécutés aussitôt interpellés par les forces de défense et de sécurité dans plusieurs localités. Certains sont portés disparus. Ces exactions, dont l'armée se défend d'être l'auteur, ont créé une situation de psychose généralisée au sein des populations de la région : elles n'arrivent plus à pratiquer certaines activités comme le jardinage, qui constitue l'un des piliers de l'économie d'Agadez. A cela il faudrait ajouter les difficultés de ravitaillement de la région en vivres et produits de première nécessité, aggravées par le départ précipité de la zone de nombreuses ONG caritatives, pour cause d'insécurité. Près de 3 000 habitants auraient déjà fui les villages en direction des massifs de l'Aïr, de Timia ou encore d'Arlit [nord du Niger]. "Ils ont préféré fuir les attaques récurrentes, la famine et les maladies", confirme Ahmed Aboubacar, un habitant d'Arlit.
    Face à cette situation qui risque de se transformer en une crise humanitaire de grande ampleur du fait de la persistance du conflit, le Programme alimentaire mondial (PAM), de concert avec le gouvernement à travers sa cellule "crise alimentaire", a procédé, en mars dernier, à une distribution gratuite de 568 tonnes de vivres à Agadez - ainsi que d'une ration journalière complète pendant quatre-vingt-dix jours pour les réfugiés venus d'Ingal, d'Iferouane, d'Aderbissinat, de Dagaba, de Gougaram, de Tabelot, etc. S'agissant du sort des populations restées sur place, on évoque une situation de crise. Selon Ahmed Aboubacar, "les chemins pour accéder à ces populations étant truffés de mines, elles sont totalement coupées du reste du monde".

    Ousseini Issa - Continental
    Courrier International, n° 915 - 15 mai 2008

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