• Comment Tandja a été renversé

    Destitué par un coup d'Etat le 18 février, l'ex-président nigérien paye le prix de son acharnement à demeurer au pouvoir. Récit détaillé du film des événements qui l'ont conduit à sa chute. 

    C’est un Mamadou Tandja muet et hébété que les putschistes trouvent dans son bureau, quelques minutes après 13 heures, ce 18 février. « On aurait dit un vieil officier muré dans ses certitudes, ne pouvant imaginer une seconde que ses « enfants » puissent le déposer », confie un des membres de la junte.

     

    Depuis quelques semaines, la colère monte dans les rangs de l’armée. Non seulement le président a bafoué les règles de la démocratie pour se maintenir au pouvoir, non seulement il a isolé le Niger sur la scène internationale au risque de couper le robinet de l’aide, mais aussi il « arrose » copieusement les ex-rebelles touaregs et ses généraux pour acheter leur soutien. Une villa clés en main et un bonus de 20 à 50 millions de F CFA (30 000 à 76 000 euros) pour quelques officiers supérieurs… et rien pour les autres.

     

    Comble de la maladresse : début février, il limoge trente-sept éléments de sa garde présidentielle et annonce que les primes vont baisser. « Comment un homme en danger peut-il prendre le risque de mécontenter ceux-là mêmes qui doivent le protéger ? » lâche un de ses anciens collaborateurs.

     

    Tout à coup, l’enfer

     

    Ce 18 février, Tandja doit présider un Conseil des ministres important. Deux jours avant, ses voisins ont durci le ton lors d’un sommet de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest. On lui prête l’intention d’annoncer avec fracas le retrait du Niger de la Cedeao. On s’attend aussi à la mise à la retraite anticipée d’un certain nombre d’officiers dont il n’est pas sûr.

     

    C’est vers 10 heures, semble-t-il, que les putschistes décident de franchir le Rubicon. Ils sont réunis secrètement à l’intérieur de la caserne de la compagnie d’appui de Niamey, au sud-ouest de la capitale. Là se trouvent notamment le commandant Salou Djibo, le chef de la place, et le capitaine Sirfi, un officier de l’armée de l’air très bien introduit auprès de la garde présidentielle.

     

    À 11 heures, Tandja ouvre la séance dans la grande salle du palais. Tous les ministres sont là, ou presque. Quelques membres du cabinet sont également présents. Une quarantaine de personnes au total. Le président est en forme et plaisante avec une équipe de télévision venue filmer l’ouverture du Conseil. À 12 h 55, un tir de revolver retentit au-dehors. Un seul. Puis… rien. Au début, les ministres croient qu’il s’agit d’un tir accidentel. Et, tout à coup, c’est l’enfer. Les coups pleuvent sur le palais. Tirs à la mitrailleuse 12.7. Tirs à l’arme lourde. Les vitres explosent. Tout le monde se couche. Tandja s’enfuit dans son bureau et referme la porte à clé derrière lui.

     

    Que fait-il pendant ces quelques minutes de répit ? Il téléphone à son chef d’état-major, le général Moumouni Boureïma, et lui demande d’appeler au secours la compagnie d’appui de Niamey. Il ne sait pas que c’est précisément cette unité qui est en train de tirer sur lui, après avoir fait mouvement vers son palais par deux routes différentes – la ville et la corniche, au bord du fleuve. Pis, il ne sait pas que sa garde présidentielle est truffée de soldats mutins issus de cette compagnie. C’est sans doute l’un d’eux qui a tiré un premier coup de revolver pour donner le signal de l’attaque.

     

    En fait, seules les Forces nationales d’intervention et de sécurité (Fnis) vont tenter de défendre le président en détresse. Les Fnis, c’est l’ancienne garde républicaine, une unité sous les ordres du tout-puissant ministre de l’Intérieur, Albadé Abouba – donc un corps particulièrement choyé par le régime. Mais les putschistes ont prévu le coup. Un blindé léger des Fnis est pulvérisé. Le 19 février, à l’heure où nous mettions sous presse, le bilan des affrontements s’établissait à une dizaine de morts.

     

    Le combat est trop inégal. Les putschistes sont équipés de canons, de blindés et de mitrailleuses montées sur des pick-up. Deux hélicoptères de l’armée de l’air entrent même dans la danse et tournent au-dessus du palais. Très vite, les assaillants déboulent dans la salle du Conseil et localisent le bureau de Tandja. La porte est fermée à clé ? Ils l’enfoncent et tombent sur le fugitif. Le chef du commando : « Pour votre sécurité, je vous prie de ne pas opposer de résistance. » Le président, abasourdi, n’ouvre pas la bouche. Comment l’extraire du bâtiment ? Un hélicoptère essaie de se poser aux abords du palais. Impossible. Les nouveaux maîtres des lieux décident alors de l’évacuer par la route. Mais il faut encore sécuriser un itinéraire jusqu’à la caserne de la compagnie d’appui. Une heure quarante d’attente. Finalement, Tandja est emmené sous bonne escorte jusqu’à un véhicule. « Les militaires l’ont traité avec déférence », raconte un témoin.

     

    Appels à la clémence

     

    Les membres du gouvernement ne sont pas maltraités non plus. Aïchatou Mindaoudou (Affaires étrangères), Ali Mahaman Lamine Zeine (Économie et Finances) et les autres sont conduits dans le bâtiment tout proche du Conseil supérieur de la communication. Pendant quelques heures, ils peuvent même conserver leurs téléphones portables. Ils en profitent pour rassurer leur famille et alerter leurs amis à travers le monde. L’internationale des diplomates et des banquiers entre en action. Très vite, les officiers putschistes reçoivent des appels de Paris, de New York, de partout. Et tous demandent la clémence.

     

    Dès 14 heures, le coup d’État est « plié » et pourtant personne ne le sait encore. La radio et la télévision émettent normalement. Les partisans de Tandja entretiennent la fiction que leur chef a été exfiltré du palais par ses fidèles. Ce n’est qu’à la tombée de la nuit, quand la radio commence à diffuser de la musique militaire, que les chancelleries comprennent que le putsch a réussi.

     

    Commence alors une longue attente. Un porte-parole des putschistes doit parler sur les ondes, mais rien ne vient. La rumeur enfle à Niamey. Beaucoup sont persuadés que « Pelé » a pris le pouvoir. « Pelé », c’est le surnom du colonel Djibrilla Hima Hamidou, le commandant de la région militaire de Niamey – une vieille connaissance pour les Nigériens depuis le coup d’État sanglant de 1999. En réalité, les choses ne sont pas si simples. Au camp de la compagnie d’appui de Niamey, les chefs des principales unités militaires se réunissent ; le débat est vif.

     

    Très vite, on se met d’accord sur le nom de la junte : Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD). Si ça peut rassurer les pays amis… En revanche, on discute ferme sur le choix du chef de cette junte. « Pelé » est là, et plusieurs officiers plaident en sa faveur : « Tout le monde le connaît. En plus, en 1999, après le coup de Wanké, c’est lui qui a agi en faveur du retour des civils au pouvoir. » Mais Salou Djibo est aussi dans la pièce et il n’est pas isolé, loin de là. Dans l’armée nigérienne, il fait partie de ces « officiers sac à dos » qui se sont rendus populaires en partant de très bas et en prenant du grade à coups de faits d’armes. Un de ses hommes : « C’est notre unité qui a déclenché l’opération. Salou était sur le terrain au moment de l’attaque du palais. Ce n’est pas le cas de tout le monde. »

     

    Fini la VIe république

     

    À 12 h 55, « Pelé » était-il en train de déjeuner tranquillement chez lui en famille ? Plusieurs officiers l’affirment. En tout cas, ce soir-là, c’est Salou Djibo qui est proclamé président du CSRD. À 22 heures, sur les écrans de télévision, le colonel Goukoye Abdul Karim – le même qui, en juin dernier, avait répliqué à l’opposant Mahamadou Issoufou que l’armée resterait neutre – se présente au côté de « Pelé » comme le porte-parole de la junte et annonce les premières décisions du CSRD. La VIe République chère à Tandja est suspendue, et toutes les institutions qui en découlent sont dissoutes.

     

    Le même soir, dans un premier entretien téléphonique, « Pelé » nous confie : « De toutes les manières, nous, on n’a pas d’ambitions. Vous connaissez notre histoire. Ce qui compte pour nous, c’est l’intérêt du pays et la démocratie. – Vous allez rendre le pouvoir aux civils, comme en 1999 ? – Assurément. » À ce moment, Tandja est à quelques mètres de « Pelé ». Il est confiné dans une pièce où il va passer sa première nuit d’homme déchu. Rude journée pour un vieux chef qui se croyait indéboulonnable… Le lendemain, il était transféré dans une caserne et était, selon ses geôliers, en « bonne santé. »

    Jeune Afrique 

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