• Au nom de la Constitution, contre la Constitution

    par Stéphane BOLLE

    Maître de conférences HDR en droit public
    http://www.la-constitution-en-afrique.org/

    Que reste-t-il aujourd’hui de la
    Constitution du Niger du 9 août 1999 ?

    Invoquée à tout va par les protagonistes d’une
    crise constitutionnelle qui n’a cessé de s’aggraver, la loi fondamentale est en péril. Manipulée, défigurée, son sort dépend irrémédiablement de l’issue d’une bataille politique. Si les oppositions « légalistes » au Président Tandja sortaient vainqueurs, elles devraient faire face à une situation inédite et manqueraient de moyens légaux pour la régler, avant l’installation de la nouvelle Assemblée Nationale succédant à celle qui a été légalement dissoute. Si le Président Mamadou Tandja l’emportait, sa victoire consacrerait un changement de légalité, le passage de la V° à la VI° République serait consommé et, par conséquent, la Constitution du Niger du 9 août 1999 succomberait aux assauts répétés dont elle a fait et fait l’objet depuis des semaines.

    Invocations mortifères de la Constitution

    C’est que la référence à la Constitution n’est pas toujours un gage de respect de la Constitution, dans sa lettre et dans son esprit. Dans le cas du Niger, les lectures fantaisistes, tronquées, tendancieuses et/ou fallacieuses de la Constitution se sont multipliées, ces dernières semaines, pour cautionner ce qui ne saurait juridiquement se justifier.

     S’il y a une place pour l’interprétation, la Constitution n’autorise pas n’importe quelle interprétation. Et des prétendues « interprétations », loin de conforter l’ordre constitutionnel, précipitent sa ruine. En l’espèce, le constitutionnaliste doit convenir (cf. 2009: année de toutes les révisions, année de tous les dangers?, La Cour contre-attaque, Tazartché, quand tu nous tiens..., La crise de mai 2009 et La Cour contre-attaque) que le Niger de la Constitution du 9 août 1999 ne peut changer légalement de Constitution : nonobstant les renvois à la Constitution actuelle qui peuvent abuser les non initiés, la VI° République verrait le jour, moyennant non pas une « fraude à la Constitution »[1], c’est-à-dire d’une révision valable en la forme mais illicite au fond, mais l’intervention – extraconstitutionnelle par définition – d’un pouvoir constituant originaire présidentialisé.

     

    Il n’est pas banal qu’un président constitutionnel invoque la Constitution pour la détruire et la remplacer. C’est ce que vit aujourd’hui le Niger.  La crise de mai 2009 a emporté l'Assemblée Nationale, dissoute pour hostilité au projet de VI° République ; la « révolution » du Président Tandja vient d’emporter la Cour Constitutionnelle, coupable d’avoir dit la Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution.

    Retour sur les derniers faits et actes ponctuant une crise constitutionnelle paroxystique.

     Le Président requérant

    Le Chef de l’Etat a d’abord réuni, le 19 juin 2009, le Conseil de la République, composé des présidents des Institutions de la République (Assemblée Nationale ; Cour Constitutionnelle ;
    Cour de cassation ; Conseil d’État ; Cour des comptes; Haute Cour de Justice ; Conseil Économique, Social et Culturel ; Conseil Supérieur de la Communication ; Commission nationale des droits de l'Homme et des libertés fondamentales), du Premier Ministre, du chef de file de l’opposition et du président de l’association des chefs traditionnels. Il a demandé à cette instance, qui se réunit « Lorsque le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et la continuité de l'État sont gravement menacés » (cf. Constit. art. 56), de l’habiliter à légiférer, en lieu et place de l'Assemblée Nationale dissoute, pour proroger le mandat des élus locaux expirant légalement le 30 juin 2009, autoriser la ratification d’accords de financement avec les bailleurs de fonds et même … changer la loi organique sur la Cour Constitutionnelle (cf. "Projet de document de travail pour la réunion du Conseil de la République" ). Le Conseil de la République n’a pas donné suite à la demande du Président de la République : refusant de se substituer à l'Assemblée Nationale dissoute, il a, très logiquement, décliné sa compétence. 

    Le Président Tandja a ensuite demandé à la Cour Constitutionnelle, par
    requête du 24 juin 2009, de se déjuger, de revenir sur son ARRET N° 04/CC/ME DU 12 JUIN 2009, au mépris de l’autorité de chose jugée (cf. Constit. art. 115), aux fins de régler un conflit d’attribution entre institutions de l’Etat (cf. Constit. art. 109), l’opposant, en l’espèce … à la Cour. Il pouvait se prévaloir, à l’appui de cette insolite requête, d’un fâcheux précédent : saisie par le Président de la République, la Cour Constitutionnelle, par ARRET N° 2003-12/CC DU 29 DECEMBRE 2003, avait constaté, après la démission et le remplacement de son président, l’inexistence juridique de trois précédents arrêts et les avait déclarés nuls et de nul effet, pour défaut de quorum.  

    Cette fois, l’auteur de la
    requête de constater l'inexistence juridique de l'arrêt du 12 juin 2009 et d'en tirer toutes les conséquences, d’une part, soutenait que la Cour Constitutionnelle avait violé ses propres règles de procédure garantissant les droits de la défense, d’autre part et surtout, prétendait qu’elle avait commis de multiples erreurs de droit, sur l’étendue de ses compétences, sur le respect de la souveraineté du peuple et sur le pouvoir discrétionnaire et exclusif du Président de la République en matière de référendum. La requête présidentielle contenait bien des arguties auxquelles un constitutionnaliste sans parti pris ne pouvait souscrire, mais qui pouvait abuser et jeter le trouble dans l’opinion. Pour contester le fond de l’ARRET N° 04/CC/ME DU 12 JUIN 2009 et s’affranchir des limites matérielles à la révision, elle s’arc-boutait  sur un étrange distinguo : l'article 49 de la Constitution du 9 août 1999 proscrirait une révision – autrement dit une modification partielle de la Constitution - par voie de référendum d’initiative présidentielle ; en revanche, il autoriserait un changement de République – autrement dit un changement total de Constitution – par la même voie. Un défi à la logique : comment peut-on imaginer que le constituant originaire ait pu faire preuve de tant de légèreté, qu’il ait pu immuniser son œuvre contre les amendements intempestifs et expéditifs à la Constitution mais pas contre les changements de Constitution ?

    Le Président d’exception

    Le Président de la République, ayant essuyé une double fin de non-recevoir - du Conseil de la République et de la Cour Constitutionnelle -, a annoncé, dans son message à la Nation du 26 juin 2009, qu’il se saisissait des pouvoirs exceptionnels de l'article 53 de la Constitution pour surmonter le « blocage » des institutions, découlant, en particulier, de la dissolution de l'Assemblée Nationale et de la réunion infructueuse
    du Conseil de la  République.

    Empêché de gouverner et de « constituer » à sa convenance, le Chef de l’Etat invoque la « Constitution de crise » pour « assurer la continuité des services publics au moyen d’ordonnances et de décrets ». Ce faisant, il n’apparaît pas comme le Président de la République qui « incarne la dernière ligne de défense du régime, à l’image respectable du dictateur de Rome, en vue de
    rétablir la légalité républicaine compromise »
    , celui qui use, avec mesure,
    d’un « remède extrême pour une crise extrême dans le respect de l’Etat de droit »[1].
    En effet,
    les mesures exceptionnelles des 29 juin et 2 juillet 2009, prises sur le fondement de l'article 53 de la Constitution, ne respectent pas toutes la Constitution; les principales sont même absentes du message à la Nation du 26 juin 2009. Si l’ordre constitutionnel de la V° République du Niger peut souffrir l’édiction d’une législation présidentielle d’exception – telle que la prorogation pour 6 mois du mandat des conseillers municipaux -, il ne saurait évidemment survivre à des représailles contre la Cour Constitutionnelle. Dès lors que les mesures exceptionnelles « doivent être inspirées par la volonté d'assurer aux pouvoirs publics constitutionnels, dans les moindres délais, les moyens d'accomplir leur mission », il va de soi qu’elles ne sauraient anéantir un pouvoir public constitutionnel. Or, le 29 juin 2009, la suspension temporaire des articles 104, 105, 106 et 107 de la Constitution, relatifs à la composition de la Cour Constitutionnelle, à la durée du mandat de ses membres, à leur inamovibilité, à l’élection du Président de la Cour et à la prestation de serment des membres de la Cour, a été décidée ; les décrets de nomination des membres de la Cour Constitutionnelle en exercice ont été abrogés ; et le Président s’est fait constituant pour régler la composition de la Cour Constitutionnelle, pour la durée – indéterminée – de la suspension des articles précités de la Constitution. Le 2 juillet 2009, une nouvelle Cour Constitutionnelle a été constituée par décision présidentielle. Comme si du fait de l'ARRET N° 04/CC/ME DU 12 JUIN 2009 les institutions de la République avaient été menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels avait été interrompu, pour paraphraser l'article 53 de la Constitution

    C’est bien parce qu’elle a déclaré anticonstitutionnelle l’entreprise constituante du Président et a refusé d’obtempérer à la demande de révision de son arrêt que la Cour Constitutionnelle a été dissoute. Face au Président constitutionnel se voulant constituant, la résistance du juge constitutionnel a été facilement annihilée ; et la date du 4 août 2009 maintenue
    pour le référendum sur la Constitution de la VI° République.

     
    Au nom de la Constitution de la V° République, contre la Constitution de la V° République !
     [1] Georges LIET-VEAUX, « La ‘fraude à la constitution’ : essai d'une analyse juridique des révolutions communautaires récentes », Revue du droit public, 1943, p.116-150

     
    [1] Jean GICQUEL – Jean-Eric GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, 22° édit., Paris, Montchrestien, 2008, p. 589.

    [2] Jean GICQUEL – Jean-Eric GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, 22° édit., Paris, Montchrestien, 2008, p. 589.

    « Tanja, l apprenti sorcierVI° REPUBLIQUE: L'AVANT-PROJET DE CONSTITUTION »
    Partager via Gmail

    Tags Tags : , , , ,