• Au Niger, Areva navigue entre troubles et concurrence

    Accrochée au-dessus de la tribune de tubes et de toiles où sont assis les chefs traditionnels, la banderole flotte dans le vent brûlant du désert : "Aucun développement durable n'est possible sans une paix véritable." Enveloppés dans leurs plus beaux boubous, les lunettes de soleil plantées dans le turban, ces hommes venus de tout le Niger attendent Mamadou Tandja, le président de la République. Un peu en retrait, on reconnaît des leaders de la rébellion touareg contre le gouvernement de Niamey qui ont décidé, quelques jours plus tôt, de négocier la fin de la guérilla.

    La paix au plus grand profit de l'industrie de l'uranium ! Ce 4 mai, M. Tandja pose la première pierre du complexe d'Imouraren, confié au groupe nucléaire français Areva au terme d'une âpre concurrence avec les Chinois. Un peu à l'écart des officiels, l'ambassadeur de Chine au Niger, coiffé d'un chapeau de paille, s'évente en songeant sans doute qu'une entreprise de son pays prendra tôt ou tard une part minoritaire dans cette pépite prometteuse, la société d'exploitation franco-nigérienne Imouraren SA...

    Mais c'est Anne Lauvergeon qui a le beau rôle."Avec le lancement de la construction des infrastructures minières d'Imouraren, déclare la présidente du premier groupe nucléaire mondial, Areva renforce un partenariat historique et solidaire qui lie le groupe au Niger depuis plus de quarante ans." Depuis 1968 et la création de la Somaïr, la société franco-nigérienne exploitant les premières mines découvertes dans le nord du pays.

    Pour Areva, la donne a changé. Après une crise qui a culminé au cours de l'été 2007, les relations se sont détendues et rééquilibrées au profit du Niger. Accusant sans preuves le groupe de financer la rébellion touareg, M. Tandja avait expulsé son patron local, Dominique Pin. Il en avait aussi profité pour s'ouvrir à d'autres pays (plus de 100 permis d'exploration) et négocier une hausse des prix de l'uranium et le droit d'en vendre directement 300 tonnes sur un marché international où les prix s'étaient envolés (avant de retomber brutalement).

    "Que la paix revienne est essentiel", reconnaît Mme Lauvergeon, dont le groupe va investir 1,2 milliard d'euros pour faire d'Imouraren la plus grande mine d'uranium à ciel ouvert du monde. La région de l'Aïr, aux confins du Niger, de l'Algérie et du Mali, reste néanmoins peu sûre, traversée par les trafiquants (drogue, armes), les clandestins remontant d'Afrique vers l'Europe et des groupes d'Al-Qaïda au Maghreb islamique. "Il y a une centaine d'hommes armés sur le site", reconnaît Bernard Debacque, le directeur général d'Imouraren SA. Ce n'est sans doute pas un hasard si le président de la société, Mohamed Akotey, est un ancien rebelle des années 1990.

    Cette région est "stratégique" pour le Niger, souligne le premier ministre, Seïni Oumarou. L'uranium représente 30 % de ses recettes d'exportation et 5 % de son produit intérieur brut (PIB). Des revenus qui gonfleront à partir de 2012, quand Imouraren permettra de hisser le pays au deuxième rang des producteurs d'uranium (9 000 tonnes par an).

    Mme Lauvergeon se félicite aussi d'une "répartition plus équitable" de la rente uranifère. Le Niger ne détient que 33 % d'Imouraren SA, mais il bénéficiera de 64 % des retombées économiques (vente du minerai, impôts, salaires des 1 350 employés, activités induites), assure-t-elle. Face aux Chinois et aux Canadiens, le groupe n'avait pas d'autre choix que de lâcher du lest pour remporter un contrat qui renforce la sécurité d'approvisionnement de la France : un tiers des réacteurs d'EDF fonctionnent avec de l'uranium nigérien.

    Fin mars, lors d'une visite éclair à Niamey, Nicolas Sarkozy a présenté ce projet comme l'illustration de la volonté de la France de "se débarrasser des pesanteurs du passé""Au Niger, la France a des intérêts, elle les assume, elle les promeut", déclarait le chef de l'Etat, tout en précisant que les activités d'Areva devaient se faire "en toute transparence". Il soulignait que"chacun doit savoir ce que (ses) activités au Niger rapportent au budget nigérien". Paris a poussé Niamey à souscrire à l'Initiative pour la transparence des industries extractives, qui oblige pays producteurs et compagnies minières qui y souscrivent à rendre publics les revenus de ces activités.

    LAXISME SANITAIRE

    Areva veut casser l'image d'un groupe prédateur et pollueur diffusée par certaines organisations non gouvernementales (ONG), qui a nourri la rancoeur et l'argumentaire des rebelles touareg. Le groupe développe d'importants programmes : deux hôpitaux bien équipés qui dispensent déjà consultations et soins aux habitants de la région ; un accès à l'eau et à l'électricité ; des aides à l'éducation pour les nomades, entravées par deux ans de troubles. "A chaque fois que la rébellion avance, c'est l'éducation qui recule", déplore Adama Hamani, responsable des actions de solidarité chez Areva.

    Le groupe consacrera 30 millions d'euros sur cinq ans à ces actions, auxquels s'ajouteront des aides au développement socio-économique de la région d'Agadez. L'entreprise a aussi décidé de lancer fin 2009, avec des experts indépendants et des ONG, un "observatoire de la santé" autour de ses trois sites miniers afin d'assurer le suivi des salariés anciens et actuels. Et répondre à ceux qui l'accusent de laxisme sanitaire dans l'exploitation des mines nigériennes.

    Jean-Michel Bezat
    le monde.fr 
    « La Cedeao contre la réforme constitutionnelle prévue au NigerCommuniqué du MNJ »
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